đŸ”” La morue : pĂȘche hivernale en Manche (1952)

Bien que la morue Ă©voque souvent les grands froids et les chalutiers au large de Terre-Neuve, ce poisson fascinant croise aussi les cĂŽtes françaises en hiver. Cet article de 1952 vous invite Ă  dĂ©couvrir son monde : habitat, reproduction, pĂȘche traditionnelle et secrets halieutiques.

📰 La morue

1952

«VoilĂ  un poisson, me direz-vous, que je n’aurai guĂšre l’occasion d’accrocher Ă  ma ligne. Erreur ! La morue vient l’hiver sur nos cĂŽtes françaises, non point, Ă©videmment, sur nos cĂŽtes mĂ©diterranĂ©ennes, mais sur celles de la Manche. Son passage est constant l’hiver, et des captures rĂ©guliĂšres sont faites Ă  la ligne sur les jetĂ©es de Dieppe et de Boulogne. Il s’agit lĂ  de morues de petite taille, de 2 Ă  3 kilogrammes. Ces captures sont dĂ©jĂ  plus rares sur les cĂŽtes bretonnes, et les captures signalĂ©es au sud de l’embouchure de la Loire sont exceptionnelles. Mais tout le monde sait que la morue existe par bancs Ă©normes vers Terre-Neuve et l’Islande et, d’une façon gĂ©nĂ©rale, dans les eaux froides de l’Arctique.

C’est un poisson de belle forme, trapu vers la partie antĂ©rieure et plus mince vers la queue, couvert de petites Ă©cailles, gris vert sur le dos avec de larges taches jaune brun, et plus clair sur le ventre.

C’est le poisson qui, dans le monde, a la plus grande valeur Ă©conomique. La morue est consommĂ©e partout, et l’on connaĂźt les droits sur lesquels chaque nation maritime veille jalousement sur les bancs de pĂȘche nordiques. TrĂšs vorace, atteignant plus d’un mĂštre et 7 Ă  8 kilogrammes, la morue vit par bancs immenses dans les couches froides. C’est un poisson stĂ©notherme, c’est-Ă -dire exigeant une tempĂ©rature constante. C’est lĂ  une particularitĂ© bien connue qui permet la pĂȘche « au thermomĂštre Â». Autrefois, la pĂȘche Ă  la ligne eschĂ©e de gros coquillages donnait des rĂ©sultats trĂšs variables, parfois trĂšs fructueux, parfois nuls ; les pĂȘcheurs pouvaient rester de longs jours sans trouver de bancs de poissons. On sait aujourd’hui pourquoi. Il suffit de plonger un thermomĂštre Ă  renversement jusqu’Ă  ce qu’on trouve la nappe d’eau Ă  une tempĂ©rature de 4 Ă  6° : c’est dans cette couche d’eau que circulent les bancs de morue. C’est lĂ  que la morue trouve sa nourriture et qu’elle fraie.

En gĂ©nĂ©ral, la morue se trouve dans des couches plus profondes et plus froides, mais, au moment du frai, c’est-Ă -dire, sur les cĂŽtes amĂ©ricaines, de septembre Ă  mars, elle remonte et reste assez longtemps dans les couches de 4 Ă  6° oĂč on la pĂȘche. C’est donc Ă  la profondeur de cette couche qu’on la cherchera Ă  la ligne ou au chalut avec le maximum de chances. AprĂšs la fraie, c’est-Ă -dire aprĂšs mars et jusqu’en mai, elle reste encore souvent dans ces eaux Ă  6°, tant qu’elle y trouve sa nourriture, puis redescend l’Ă©tĂ© dans les profondeurs froides. Dans nos eaux, la ponte a lieu plus tardivement et s’Ă©chelonne de fin dĂ©cembre Ă  mai. C’est le moment oĂč les bancs s’approchent de nos cĂŽtes de la Manche. Les poissons se serrent sur plusieurs rangs, les femelles le plus souvent en dessous des mĂąles ; les femelles lĂąchent leurs Ɠufs, trĂšs petits, dans une eau oĂč se dilue la laitance des mĂąles. La fĂ©condation se produit Ă  une profondeur de 50 Ă  100 mĂštres, toujours Ă  la tempĂ©rature fatidique de 4° Ă  6°. La morue est trĂšs prolifique, chaque femelle Ă©tant capable de produire plusieurs millions d’Ɠufs. Ces Ɠufs sont flottants et libres et se tiennent entre deux eaux. Ce sont de petites tĂȘtes d’Ă©pingles de 1mm,5 de diamĂštre, qui s’enfoncent lentement dans l’eau jusqu’Ă  ce qu’ils aient trouvĂ© la couche Ă  la tempĂ©rature voulue et Ă  la salinitĂ©, c’est-Ă -dire Ă  la densitĂ©, Ă©gale Ă  la sienne. ParticularitĂ© remarquable, l’Ɠuf de morue n’a pas les petites gouttelettes d’huile qui existent dans la plupart des Ɠufs flottants de poissons et qui diminuent leur densitĂ© par rapport Ă  l’eau. La durĂ©e de l’Ă©closion est de quinze jours Ă  6°.

L’alevin Ă©clos a 4 millimĂštres de long et grandit en quelques jours jusqu’Ă  un centimĂštre. À six mois, il ne mesure que 5 Ă  6 centimĂštres ; Ă  dix-huit mois, 25 Ă  30 centimĂštres, et, Ă  deux ans, il pĂšse un kilogramme. À partir de ce moment, la morue gagne environ un kilogramme par an, et c’est Ă  partir de quatre ans qu’elle peut se reproduire.

La pĂȘche Ă  Terre-Neuve se fait Ă  la ligne, suivant la mĂ©thode ancienne. Des doris s’Ă©loignent du bateau avec les lignes eschĂ©es de gros coquillages, qu’on trouve avec abondance prĂšs du rivage. Les terre-neuvas Ă  voile sont de plus en plus rares : on en voit encore dans les ports bretons et Ă  Bordeaux. La pĂȘche scientifique a pris le dessus et c’est avec d’Ă©normes chaluts draguant entre deux eaux que de grosses quantitĂ©s de morues sont ramenĂ©es Ă  bord pour ĂȘtre immĂ©diatement assommĂ©es, Ă©tĂȘtĂ©es, fendues, vidĂ©es, salĂ©es, et empilĂ©es dans des frigos.

Carte postale ancienne de La Rochelle - Déchargement de morues.
273 . La Rochelle – DĂ©chargement de morues.

Outre la chair de la morue, que tout le monde connaĂźt, signalons les deux sous-produits qui sont immĂ©diatement rĂ©cupĂ©rĂ©s et de grande valeur : d’abord le foie, dont on extrait cette huile riche en vitamines qui fut l’amertume de notre enfance, et ensuite la rogue, c’est-Ă -dire les ovaires remplis d’Ɠufs et qui sont le meilleur appĂąt pour la pĂȘche Ă  la sardine.

Quant Ă  la pĂȘche Ă  la ligne en France, j’ai dĂ©jĂ  dit que c’est dans la Manche que l’on peut l’exercer avec le plus de chances de succĂšs, en bateau ou Ă  terre. En bateau, on peut espĂ©rer en prendre avec une grosse canne, un nylon de 100 mĂštres de long et de 60 Ă  70/100, avec, Ă  l’extrĂ©mitĂ©, un plomb de 100 grammes et trois ou quatre clipots portant un hameçon n°1 Ă  3. L’appĂąt sera la nĂ©rĂ©ide, l’arĂ©nicole, le crabe mollet ou un morceau de seiche ou de maquereau.

Hameçons Ă  morue, annĂ©es 1970. - MusĂ©e La PĂȘcherie Ă  FĂ©camp
Hameçons à morue, années 1970.
– MusĂ©e La PĂȘcherie Ă  FĂ©camp

Du bord, la pĂȘche se fera avec la mĂȘme ligne et les mĂȘmes appĂąts, mais au surf-casting, en lançant Ă  une quarantaine de mĂštres. La dĂ©fense de la morue n’est d’ailleurs pas trĂšs forte, malgrĂ© la taille du poisson, mais c’est une belle piĂšce que le pĂȘcheur parisien qui frĂ©quente l’hiver les jetĂ©es de Dieppe et de Boulogne a des chances de capturer.»

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 151
  • Auteur : Pierre LARTIGUE.
  • Titre : PĂȘche en mer – La morue
  • Rubrique : La pĂȘche

En résumé

De la jetĂ©e de Dieppe aux bancs arctiques, la morue rĂ©vĂšle une pĂȘche saisonniĂšre riche en histoire et techniques.

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Notes :

🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sĂ©lectionnĂ© quelques images d’époque et photos personnelles qui Ă©voquent l’ambiance ou les techniques dĂ©crites.
⚠ Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourd’hui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.

Article publié initialement en 2004.

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