Si le brochet demeure le prédateur des eaux douces et d’étang, il est parfois mal connu des pêcheurs. Cependant, des articles de presse des années 50 énumèrent déjà des chiffres sur différentes études réalisées sur ce poisson : la croissance de celui-ci et son rôle dans l’écosystème.
Annexe 1 : La croissance du brochet
«Beaucoup d’énormités ont été dites sur le brochet, sur sa croissance et sa voracité ; la plus solidement ancrée est celle du brochet mangeant son poids de poissons par jour ; c’est là une des légendes auxquelles il faut tordre le cou, et définitivement.
Évidemment, le brochet s’attaque à tous les poissons d’eau douce, aussi bien à la carpe qu’à ses propres congénères ; on a trouvé dans l’estomac d’un brochet de grande taille aussi bien des rats que des grenouilles et des oiseaux aquatiques. On a dit qu’il ne s’attaquait pas à la truite ; c’est une très grosse erreur ; au cours des années sèches 1948-1949, le brochet est très souvent remonté dans les eaux de première catégorie qui s’étaient réchauffées et a causé de très sérieux ravages dans les rivières à truites. Je connais des rivières normandes dans lesquelles de véritables battues de brochet ont dû être faites pour protéger les truites au cours des étés secs des deux dernières années.
La croissance du brochet est extrêmement rapide ; il est absolument normal que, six mois après sa naissance, le brocheton pèse 200 à 300 grammes en conditions moyennes, c’est-à-dire en milieu assez riche en nourriture. Mais cette croissance est extrêmement inégale et ralentie en milieu pauvre et froid tel que les lacs de Suède et de Finlande, ou les lacs de montagne, où l’on voit les brochets de l’an qui ne pèsent que 10 à 15 grammes. En revanche, dans des étangs chauds bien pourvus de nourriture, un brochet de l’an peut peser 500 à 600 grammes. Le record semble être obtenu par les brochets introduits en Espagne dans le Tage venant de France et qui, déposés à l’état d’œufs en avril 1949, arrivaient à peser jusqu’à 1 kilogramme en avril 1950. Van Den Borne mentionne même le cas d’un brochet péché dans un étang à carpes et qui, en cinq mois, mesurait 0m,42 et pesait 1kg,250. Il s’agirait là toutefois d’un cas exceptionnel. On peut donner comme table de croissance moyenne le tableau ci-dessous fourni par Mauvais, basé sur l’étude de 108 brochets femelles dans le lac de Neuchâtel :
AGE, années. | LONGUEUR, centimètres. | POIDS, kilogrammes. |
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 | 30 à 33 37 à 49 41 à 62 47 à 71 59 à 84 68 à 90 87 à 93 89 à 108 94 à 100 100 à 110 110 à 115 115 à 127 | 0,160 à 0,240 0,330 à 0,950 0,600 à 0,800 0,750 à 2,800 1,700 à 3,800 2,350 à 6,000 5,800 à 6,400 5,600 à 11,350 6,500 9,000 9,300 12,500 et 15 kg. |
Le lac de Neuchâtel est un lac de basse altitude, et, si nous comparons ces résultats avec ceux obtenus par Surbeck dans le lac de Klontal, petit lac situé à plus de 800 mètres d’altitude dans les Alpes, nous trouvons des chiffres nettement inférieurs qui s’expliquent par le fait que ce lac est couvert de glace en hiver et que la nourriture y est moins abondante.
Quant au record de faiblesse de croissance, il est tenu par les brochets des lacs finlandais, lacs très pauvres et très froids. Ci-dessous les chiffres donnés par Brofelt pour le lac Alimanen Rautjarvi :
AGE, années. | LONGUEUR, millimètres. | POIDS, kilogrammes. |
1 2 3 4 5 | 95 180 273 372 475 | (non contrôlé) 0,025 0,155 0,330 0,675 |
La croissance du brochet est donc très inégale, mais aucun poisson de nos eaux douces ne montre, dans des conditions favorables, une croissance aussi rapide, surtout pendant les premières années de sa vie ; le brochet de 10 kilogrammes n’est pas un poisson très rare dans nos lacs des Landes et dans les étangs de l’Est ; il atteint parfois 15 kilogrammes et est alors âgé d’une dizaine d’années.
Le record de taille de brochet a été signalé par Surbeck, qui péchait en 1930 un brochet de douze ans mesurant 135 centimètres et pesant 21 kilogrammes, et un brochet d’un loch écossais pesant 24 kilogrammes et ayant avalé un saumon de 4kg,500.
Les brochets, même de grande taille, dépassent rarement douze ans. Les mâles dépassent rarement 5 kilogrammes, et les brochets de grande taille sont toujours des femelles.
Quant aux brochets, signalés par la littérature, âgés de plus de cent ans, ce sont des mythes : tel le brochet capturé en Souabe en 1747 qui mesurait près de 19 pieds, soit 6 mètres, et qui portait un anneau indiquant qu’il avait été immergé dans le lac par les mains de Frédéric II, le 5 octobre 1530 ; péché en 1747, il aurait deux cent dix-sept ans ; rien ne nous interdit de penser que, s’il n’avait pas été capturé à cette époque, il vivrait encore.
Avant d’étudier, dans une prochaine chronique, le coefficient alimentaire du brochet, c’est-à-dire la quantité de nourriture qu’il faut qu’il ingère pour grossir de 1 kilogramme, il est une caractéristique que les dirigeants de sociétés de pêche doivent bien connaître, c’est que le brochet est un paresseux et un sédentaire ; il ne s’éloigne jamais de l’endroit où il est né. Le Suédois Hessli a fait à ce sujet deux séries d’expériences : il marqua une série de 100 brochets qui furent pris, en moins d’un an, à moins de 3 kilomètres du lieu de déversement ; il marqua une deuxième série de 100 brochets qui furent pris à moins d’un kilomètre du lieu d’immersion, et un seul fut retrouvé à 13 kilomètres du point de déversement. D’où l’obligation pour les pisciculteurs ou les sociétés de pêche voulant repeupler leur lot de répartir les brochets uniformément et non point de balancer dans la rivière un bidon de brochetons ou une masse d’œufs embryonnés.
Comme déversement approximatif, on peut, dans un bief de rivière de 1 kilomètre de long et de 10 mètres de large, mettre un brocheton de l’année tous les 20 mètres ou placer sur des brindilles les œufs embryonnés à raison de 1.000 à 2.000 par kilomètre, soit une brindille portant une dizaine d’œufs tous les 5 à 10 mètres.
J’ai cru utile de donner ces quelques chiffres et de citer ces quelques expériences particulièrement précises ; en matière de pisciculture, en France, nous avons en effet trop l’habitude de nous baser sur les racontars et les dires inconsidérés des pêcheurs.
Or, en biologie, il ne peut y avoir progrès que sur observations exactes.»
DELAPRADE.
Le Chasseur Français N°655 Septembre 1951 Page 534
Annexe 2 : Le rôle du brochet
«J’ai, dans une récente chronique, donné quelques précisions sur la croissance du brochet. Le tube digestif de ce remarquable vorace des eaux douces a fait l’objet d’études variées qu’il est bon de connaître.
La voracité du brochet est bien réelle et extrêmement précoce. L’expérience de Furhmann est maintenant classique. Furhmann avait mis deux cents alevins de brochets, dès leur éclosion, dans un aquarium de plantes aquatiques bien approvisionné en daphnies et autres petits crustacés formant le plancton. Les alevins de brochet s’en nourrirent pendant quelques jours, puis dédaignèrent cette nourriture et se mirent à se faire la chasse entre eux. En moins d’une année, il restait fort exactement un seul brocheton qui avait, directement ou par intermédiaire, dévoré tous ses compagnons. Sa nourriture était d’ailleurs insuffisante, puisque à un an il ne pesait que 16,5 grammes.
De telles expériences ont été faites très souvent et ont toujours abouti au même résultat ou à un résultat très voisin, c’est-à-dire que quelquefois il restait deux brochetons de taille et de poids identiques et qui ne pouvaient s’avaler l’un l’autre, ou bien le dernier brocheton crevait pour avoir essayé d’avaler son compagnon déjà trop gros pour lui.
Revenons à notre brocheton de Furhmann que nous avons laissé à un an pesant 16gr,5. On le nourrit alors de plancton et de petits poissons. Deux mois après il pesait déjà 50 grammes. Pour augmenter de 1 gramme, il avait suffit à ce brocheton de manger 2,7 grammes de poisson ; son coefficient alimentaire était donc de 2,7.
Nous en venons ici au coefficient alimentaire du brochet, c’est-à-dire à la quantité d’aliments qu’il lui faut pour grossir de 1 kilo. On sait que, pour la truite d’élevage, il faut 8 à 10 kilos de déchets de viande et de poisson de mer hachés pour lui faire gagner 1 kilo. Son coefficient alimentaire est donc de 8 à 10. Le brocheton est une machine qui fonctionne avec un bien meilleur rendement que la truite, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Des légendes ont fait croire qu’il fallait 40 ou 50 kilos de nourriture à un brochet pour grossir d’un kilo ; ceci est faux ; le brochet est un utilisateur remarquable qui transforme, avec le minimum de perte, la chair des petits poissons de faible valeur en chair de brochet de goût excellent et de haute valeur.
Ce coefficient remarquable de 2,7 à 3 n’est valable que pour des poissons très jeunes, c’est-à-dire ceux dont la ration d’entretien est très faible et dont la ration de croissance est très profitable. Ce coefficient s’explique par le fait que le brochet dépense très peu de sa force musculaire, reste très longtemps immobile et surtout digère très lentement.
D’expériences diverses, il résulte que le brochet ne peut avaler qu’un poids de nourriture compris entre un douzième et un vingtième de son poids, qu’il jeûne plusieurs jours à la suite et qu’il attend le plus souvent d’avoir digéré sa proie avant d’en chercher une autre ; c’est la lenteur de la digestion du brochet qui explique le long jeûne de ce poisson et que, lorsqu’il est gavé, les proies les plus tentantes peuvent lui passer sous le nez sans qu’il manifeste l’intention d’attaquer. C’est à cause de cela qu’il est précieux pour l’aménagement de nos rivières, car ce n’est pas un destructeur né comme la perche et le black-bass.
Des expériences ont été faites sur des brochetons d’an an, et leurs repas journaliers, soigneusement dénombrés, atteignaient, par rapport au poids du brochet, le pourcentage suivant :
Nourriture | p. 100 |
crustacés plancton | 16 à 17 |
vers | 15 à 33 |
larves de moustiques | 15 à 25 |
crevettes eau douce | 11 à 12 |
poissons | 3 à 5 |
Exceptionnellement, il fut constaté l’ingestion d’un poisson faisant 17% du poids du brochet.
Il faut noter que, comme chez tous les autres poissons, la nourriture journalière est très influencée par la température de l’eau. La nourriture trouve son optimum en quantité à 18°, ce qui explique que le brochet mord le plus au printemps et en automne ; en hiver, il mange moins, mais, comme les petits poissons se cachent dans la vase, il a plus de peine à trouver sa nourriture et mord plus facilement aux leurres qu’on lui présente.
Des expériences ont montré que le meilleur coefficient alimentaire est obtenu lorsqu’il se nourrit de poisson ; Schols a trouvé qu’il atteignait 3 chez le brochet d’un an, c’est-à-dire qu’avec 300 grammes de fretin le brochet grossit de 100 grammes. Le coefficient alimentaire croît avec l’âge ; il passe de 3 à 4 pour un brochet pesant 1 à 2 kilos. Juilerat avait mis en observation, dans un aquarium du Trocadéro, un brochet pesant 1150 grammes ; le brochet mangea cinq gardons pesant ensemble 485 grammes, et il grossit de 171 grammes, soit un coefficient alimentaire de 3,9 ; notons à ce sujet qu’il s’était écoulé dix jours entre deux repas consécutifs.
À 3 ou 4 kilos, le brochet a un coefficient alimentaire qui atteint 4 à 5 ; mais, à partir de l’âge de sept à huit ans (il pèse alors 5 à 6 kilos), le brochet n’est plus guère intéressant pour le pisciculteur : il mange trop et ne grossit pas assez ; son coefficient alimentaire rejoint presque celui de la truite, c’est-à-dire 8 ou 10 ; il faut alors l’éliminer, car il devient nuisible.
Puisque nous sommes dans les chiffres, il est bon d’indiquer que le brochet est un animal à digestion lente : un brochet de 62 grammes, ayant avalé un autre brochet de 24 grammes, mit quatre jours pour en digérer 9,5 grammes et la queue fut encore retrouvée intacte dans son estomac. Enfin, parmi les cas extrêmes de poids et de voracité, la littérature anglaise porte le cas d’un brochet, d’un « loch » écossais, pesant 24 kilos, qui avait avalé un saumon de 4,5 kg.
Je m’excuse de ces chiffres toujours un peu fastidieux qui ont pour but de réhabiliter le brochet de sa fâcheuse réputation. Le brochet n’est pas un dévastateur, il ne tuera pas pour le plaisir de tuer ; c’est un remarquable transformateur du fretin ; il a un coefficient alimentaire excellent, atteint par aucun autre poisson et qui est près de la moitié de celui de la | truite ; il contribue, comme tout vorace, à éliminer les poissons blancs les plus chétifs et les plus susceptibles de propager les épidémies. On voit donc que le brochet est un remarquable équilibrateur pour nos eaux douces de deuxième catégorie ; à ce titre, sa propagation doit être encouragée dans ces eaux, à l’exception toutefois de celles dans lesquelles, à la suite d’étés chauds, il serait susceptible de remonter dans les eaux de première catégorie et de faire de grands ravages parmi les truites.
Évidemment, comme de tout, point trop n’en faut ; l’abondance excessive du brochet, comme on l’a vu dans certains lacs du jura, conduit à la disparition des poissons blancs, puis des perches, puis des truites, et enfin les brochets arrivent à se dévorer entre eux. L’équilibre général de la rivière exige des espèces variées grâce auxquelles toutes les ressources de la faune et de la flore aquatique sont utilisées. On peut estimer que, dans une pièce d’eau de deuxième catégorie, il ne faudrait pas dépasser la proportion de 20 à 25p. 100 de voraces, et le remède contre l’excès de brochets n’est aujourd’hui que trop facile ; la pêche au vif, la pêche au lancer léger sont des moyens efficaces, souvent même trop efficaces. Aucune société de pêche ne doit craindre aujourd’hui de trop déverser de brochets dans ses eaux à poissons blancs.»
DELAPRADE.
Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 599
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Article publié initialement en 2019. Dernière mise à jour en 2022.
Quel bel article. Le brochet est le poisson que j’aime le plus pêché. Je le pêche désormais en Float Tube c’est un régal !
Bonjour
très bon article détaillé, très intéressant. Écrivant des articles pour le site https://appatsdepeche.fr j’ai appris des choses
Bien à vous
Cdt Thierry
Bel article sur le brochet. C’est depuis longtemps le poisson que j’aime le plus pêcher au leurre.