La pĂȘche du hareng aux piquets dâĂ©taliĂšres est une pratique ancestrale qui tĂ©moigne du savoir-faire maritime des pĂȘcheurs normands et bretons. Cet article vous plonge dans une mĂ©thode ingĂ©nieuse, dĂ©crite en 1950 dans Le Chasseur Français, qui permettait de capturer des centaines de harengs Ă pied sec, grĂące Ă des filets tendus entre des perches plantĂ©es dans le sable.
đ° La pĂȘche au hareng Ă pied sec

«Novembre est le mois du hareng. Au moins celui des pĂȘcheurs de harengs â ce qui n’est pas tout Ă fait la mĂȘme chose …
On sait que, dĂšs l’automne, le hareng descend de la mer du Nord pour longer les cĂŽtes de France, oĂč il fait son apparition dĂšs les premiers froids.
D’aucuns prĂ©tendent qu’il ne se rĂ©pand guĂšre au-dessous de l’estuaire de la Loire, ce qui ne constitue du reste pas une vĂ©ritĂ© absolue. Mais il est patent qu’on le retrouve bien loin de chez nous, aux environs de mars, oĂč il pullule sur les rives canadiennes. Vient-il en France pour y frayer l’hiver, ainsi que veulent le dĂ©montrer certains savants, ou ne fait-il que cĂŽtoyer notre littoral avant de traverser l’Atlantique ? Je l’ignore, et, d’ailleurs, ces considĂ©rations naturalistes nous importent assez peu, dans la mesure oĂč elles dĂ©passent largement le cadre de cette chronique.
Qu’il nous suffise de savoir, pour l’instant, que le hareng nous visite au dĂ©but de l’hiver, ce qui nous est une occasion magnifique de l’y accueillir et mĂȘme de l’y cueillir : on verra plus loin combien ce terme s’avĂšre d’une rigoureuse exactitude.
Le hareng : c’est-Ă -dire en fait les millions de harengs qui transitent en France, car ces poissons migrateurs voyagent par bancs Ă©pais, des bancs d’une extraordinaire densitĂ©, bien supĂ©rieure Ă celle des bancs de maquereaux, pourtant diablement touffus. Il n’y a pas que dans les caques que les harengs s’entassent comme des voyageurs de mĂ©tro aux heures de pointe …
Certains de mes lecteurs ne manqueront pas de faire la grimace, peut-ĂȘtre, en parcourant ces lignes. S’occuper du vulgaire hareng, aprĂšs s’ĂȘtre lĂ©chĂ© les babines, tout l’Ă©tĂ© durant, devant des crustacĂ©s de choix comme le bouquet ou le homard, peut leur paraĂźtre une dĂ©chĂ©ance. C’est qu’ils ne connaissent guĂšre ce clupĂ©idĂ© que sous la forme enfumĂ©e du saurissage ou sous les espĂšces insipides de la congĂ©lation. Dans l’un et l’autre cas, on ne saurait dire, en effet, que la saveur de ce poisson est exquise. Or, contrairement Ă ce qu’en pense un vain peuple, le hareng frais, j’entends fraĂźchement pĂ©chĂ© et cuit au sortir de l’eau, constitue un vĂ©ritable rĂ©gal, d’une extrĂȘme finesse, bien supĂ©rieure Ă celle de la truite, Ă mon sens, cette truite avec laquelle notre hareng prĂ©sente, d’autre part, certaines similitudes. Je sais que je vais faire ainsi bondir nombre de gourmets, mais je leur conseille de tenter un essai de comparaison loyal et franc avant de s’employer Ă me contredire. Ă condition toutefois, je le rĂ©pĂšte, qu’ils ne s’avisent de dĂ©guster que des harengs frais pĂ©chĂ©s.
Je les convie ainsi Ă venir les ramasser avec moi, le long du mur de l’Atlantique ou de la Manche. Ce mur-lĂ n’est Ă©videmment pas celui dont il fut question aux environs de 1944, tout de fil de fer et de bĂ©ton ! Mais c’est un mur tout de mĂȘme, comme vous l’allez voir. Un mur, cette fois, perpendiculaire au rivage, et non plus parallĂšle.
DĂšs les premiers froids, les bancs de harengs envahissent notre littoral, qu’ils cĂŽtoient Ă la recherche du plancton. Ă marĂ©e haute, ils passent ainsi Ă une trĂšs faible distance du rivage, Ă©pousant dans leur course les moindres replis cĂŽtiers, mais naviguant surtout au-dessus des grĂšves ou des plages de sable sans rocher. Il est curieux de constater que, tandis que les poissons plats remontent Ă chaque flux vers la terre, en quĂȘte des arĂ©nicoles dont ils aiment Ă se repaĂźtre, dans une direction perpendiculaire aux cĂŽtes, les harengs, eux, suivent celles-ci selon un sens rigoureusement parallĂšle. Cette prĂ©cision a bien son prix, car c’est elle qui dĂ©termine le mode de pĂȘche harengĂšre que nous allons dire.
DouĂ©s d’un mĂȘme esprit d’observation que les hauturiers â ou les chasseurs, â les bassiers ont mis depuis toujours Ă profit cette particularitĂ© de la progression du hareng. DĂšs octobre, ils plantent chaque annĂ©e, tout le long du littoral et Ă angle droit avec celui-ci, des lignes de hautes perches, espacĂ©es les unes des autres de trois mĂštres environ. Ces gaules sont enfoncĂ©es de deux bons pieds dans le sable et consolidĂ©es aussi rigoureusement que possible, en raison des efforts multiples qu’elles auront Ă subir.
Ces perches, qu’on dĂ©signe presque partout sous le nom d’Ă©taliĂšres, sont destinĂ©es Ă recevoir des filets verticaux, vĂ©ritables panneaux de toile dont la base affleure le sol mĂȘme. Des filets Ă mailles assez larges pour laisser passer la tĂȘte d’un hareng et assez Ă©troites pour empĂȘcher le corps de les traverser. Lorsque la mer a recouvert ces dispositifs, qui strient chaque automne tant de nos grĂšves, il tombe sous le sens que nos harengs viennent y donner de la gueule et y restent prisonniers, coincĂ©s au niveau de leurs ouĂŻes. DĂšs que le reflux assĂšche et dĂ©couvre les Ă©taliĂšres, il ne reste plus aux pĂȘcheurs Ă pied sec qu’Ă y cueillir leurs proies, suspendues du haut en bas du filet selon l’heure de leur passage par rapport Ă la hauteur de la marĂ©e.

le hareng aux piquets dâĂ©taliĂšres
Comme vous le pourrez constater, le procĂ©dĂ© est aussi simple que l’Ćuf de Colomb. Encore fallait-il y songer. Mais il exige sans nul doute d’assez importantes mises de fond. Car un « espalier » de cette sorte comporte souvent une alignĂ©e d’une dizaine de perches, soit une superficie d’environ 150 mĂštres carrĂ©s de filets. Au prix du lin et de la main-d’Ćuvre, c’est lĂ effectivement un petit capital. Du reste, le harenger tisse souvent ses filets lui-mĂȘme et, en toute hypothĂšse, ils lui coĂ»teront moins cher qu’une barque.
Mais si l’Ă©taliĂšre est plus onĂ©reuse que les armes improvisĂ©es dont usent les bassiers, s’agissant de mollusques, de crustacĂ©s ou de poissons, elle demeure gĂ©nĂ©ralement d’un substantiel rapport. Il n’est pas rare, par quelque brumeuse matinĂ©e de novembre, de dĂ©crocher des murs de toile des centaines de harengs pris au piĂšge durant la mer pleine. Pour peu que la brise ne soit pas trop fraĂźche ou la vague trop dure, on peut laisser en place, plusieurs semaines durant, les filets ainsi plantĂ©s, au moins tout au long d’une mĂȘme marĂ©e favorable. Le bassier ne devra cependant jamais manquer d’ouvrir l’Ćil et de dĂ©monter rapidement ses palissades dĂšs que baissera le baromĂštre ou tournera le vent. Une mer un peu grosse a vite fait, on s’en doute, d’arracher les filets pendus ou de les emmĂȘler comme une « pelote de vermĂ©e ».
Si les panneaux Ă harengs sont ainsi rigoureusement amovibles, prĂȘts Ă ĂȘtre dĂ©verguĂ©s en quelque sorte comme des voiles de batture, les piquets d’Ă©taliĂšres restent fichĂ©s en grĂšve pendant toute la saison, et souvent mĂȘme aprĂšs. Ainsi s’expliquent ces gaules survivantes que l’estivant dĂ©couvre frĂ©quemment sur ses plages, sans en comprendre la prĂ©sence, ou ces chicots de perches brisĂ©es par quelque tempĂȘte, qui parsĂšment le littoral sableux, faisant parfois trĂ©bucher le promeneur Ă mer basse ou, aux heures propices Ă la crevette grise, provoquant l’arrĂȘt brusque d’une bourraque, avec un furieux coup de manche dans le ventre du pĂȘcheur.
Je crois prudent de prĂ©venir les amateurs que la pĂȘche aux Ă©taliĂšres nĂ©cessite une autorisation prĂ©alable, Ă©tant en principe rĂ©servĂ©e aux inscrits maritimes. Mais, dans des coins que je sais, certains marins non professionnels ne se gĂȘnent pas pour affronter les foudres des gardes-cĂŽtes, en plantant Ă l’envie des Ă©taliĂšres clandestines. Les bancs de harengs sont en gĂ©nĂ©ral si nombreux que cela ne porte guĂšre prĂ©judice aux intĂ©rĂȘts des inscrits. N’en dĂ©plaise Ă M. de Colbert, qui rĂ©glementa trĂšs sĂ©vĂšrement jadis le mĂ©tier de pĂȘcheur, il faut bien que tout le monde vive (sauf en l’occurrence les harengs). Un ichtyologiste de mes amis a d’ailleurs calculĂ© que chaque habitant d’un pays comme le nĂŽtre pourrait consommer chaque hiver plus de six douzaines de harengs, aux Ă©poques de « passage », sans que s’en puissent trouver compromises les nĂ©cessitĂ©s de reproduction de la race harengĂšre.
Infos source
- Source : Le Chasseur Français N°645 Novembre 1950 Page 666
- Auteur : Maurice-Ch. RENARD.
- Titre : La pĂȘche au hareng Ă pied sec
- Rubrique : La pĂȘche
En résumé
Aujourdâhui presque oubliĂ©e, cette technique de pĂȘche illustre Ă merveille lâingĂ©niositĂ© des pĂȘcheurs dâautrefois et leur adaptation aux migrations saisonniĂšres du hareng. Une tradition Ă prĂ©server dans nos mĂ©moires halieutiques.
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Notes :
đ Pour enrichir ce texte ancien, jâai sĂ©lectionnĂ© quelques images dâĂ©poque et photos personnelles qui Ă©voquent lâambiance ou les techniques dĂ©crites.
â ïž Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourdâhui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.
Article publié initialement en 2009.