đŸ”” PĂȘche Ă  la ligne dormante des poissons plats (1951)

Cet article Ă©crit en octobre 1951 par Maurice-Ch. Renard pour le Chasseur Français nous renvoie quelques dĂ©cennies en arriĂšre et nous rappelle comment nos parents et arriĂšres parents apprĂ©hendaient la pĂȘche: la plie et le flet à la ligne de dormante.
Les poissons plats, comme la sole, la plie, le carrelet ou le flet, sont des espĂšces qui vivent sur le fond marin et qui se nourrissent principalement de vers, de coquillages ou de petits poissons. Pour les capturer, il existe une technique simple et efficace : la pĂȘche Ă  la ligne dormante.

📰 La pĂȘche des poissons plats Ă  la ligne de fond

1951

«L’automne favorise la pĂȘche des poissons plats. La pĂȘche Ă  pied s’entend, car c’est en tout temps que les carrelets, limandes et soles, mais surtout les premiers, frĂ©quentent le littoral de nos cĂŽtes Ă  marĂ©e. On les y capture alors au chalut, donc en barque.

Mais les bassiers que nous nous flattons d’ĂȘtre mettent un point d’honneur Ă  ne pĂȘcher qu’Ă  pied. Chacun prend son plaisir oĂč il le trouve. Le nĂŽtre, c’est de prospecter les grĂšves ou les plateaux rocheux, Ă  dĂ©couvert, et d’y ramasser, par les procĂ©dĂ©s les plus simples, voire les plus rudimentaires, les hĂŽtes de la mer assez imprudents pour s’attarder au reflux ou demeurer prisonniers des basses eaux.

La plie et flet - Dessin fishbase
La plie et flet – Dessin fishbase

Ce prĂ©ambule n’explique cependant pas pourquoi l’automne est plus propice que l’Ă©tĂ©, par exemple, Ă  de semblables prises. Éclairons donc notre lanterne.

Si la pĂȘche aux crustacĂ©s s’accommode sans contredit des pĂ©riodes chaudes, cela tient d’abord Ă  ce que la collecte du bouquet ou la chasse Ă  l’Ă©trille requiert et mĂȘme exige du bassier des immersions parfois prolongĂ©es — Ă  mi-corps presque toujours — au moins pour la traversĂ©e des chenaux. Or, s’il est agrĂ©able de se promener deux heures durant, l’Ă©tĂ©, en poussant la bourraque, avec de l’eau Ă  la ceinture, quand ce n’est pas Ă  la poitrine, un tel sport manque assurĂ©ment de charme dĂšs la mi-septembre et quelquefois plus tĂŽt. Par contre, la pĂȘche aux poissons plats au moyen de lignes de sable ou de bĂŽcains (1) ne rĂ©clame de son adepte aucun sacrifice de ce genre, puisque le bassier peut aisĂ©ment tendre et relever ses engins sans se mouiller plus haut que la semelle, tout en ayant la facultĂ© de se vĂȘtir chaudement.

Une autre raison, Ă©trangĂšre au confort ou Ă  la santĂ© du pĂȘcheur, intervient surtout en faveur de la pĂȘche automnale aux poissons plats : c’est ce qui fait que le crabe, vert, jaune ou rouge — ennemi public numĂ©ro un des boettes, amorces constituĂ©es par des vers arĂ©nicoles dans la plupart des cas, — est trĂšs sensible aux premiers froids et qu’il regagne des gĂźtes prudents dĂšs les premiĂšres nuits glacĂ©es, au lieu de continuer Ă  vagabonder tout au long des plages et d’y dĂ©vorer les vers accrochĂ©s au bout des hameçons.

La concurrence ainsi Ă©cartĂ©e, le bassier aura bien plus de chances de trouver, Ă  mer baissante, un nombre apprĂ©ciable de piĂšces au fer de ses lignes en automne qu’en Ă©tĂ©. C. Q. F. D.

DĂšs octobre, le mois oĂč nous entrons, on aura donc profit Ă  consacrer ses loisirs, sur les cĂŽtes sableuses de l’Atlantique et de la Manche, Ă  la capture des poissons plats, singuliĂšrement des plies et des picauds 1.

On sait — ou, si on l’ignore, on va l’apprendre, parbleu ! — que le plus courant des poissons plats est le carrelet, ce carrelet que les cĂŽtiers appellent plus souvent « plie Â» ou improprement « turbotin Â», comme on le dĂ©nomme en certains points des Flandres ; la plie et, pourrait-on ajouter, son demi-frĂšre le picaud.

Il importe pourtant de ne jamais confondre picaud et plie, de si diffĂ©rentes saveurs. Le premier n’a de rĂ©elle valeur gastronomique que consommĂ© trĂšs frais, autant que possible au sortir de l’eau : sa chair, plutĂŽt fade, tourne trĂšs vite, et le goĂ»t s’en « aplatit » fort rapidement. Par contre, la plie demeure d’une conservation assez aisĂ©e et garde bien plus longtemps ce parfum iodĂ© d’herbes marines qu’on rechercherait en vain chez le picaud, une saveur d’algue Ă  nulle autre pareille. Un vatel 2 que je sais disait un jour : la plie et le picaud, c’est le jour et la nuit, la chair du homard comparĂ©e Ă  celle du crabe vert ou, si vous prĂ©fĂ©rez, le bourgogne auprĂšs de la piquette. (Il exagĂ©rait tout de mĂȘme un brin.)

Mais c’est un fait que, du dehors, la plie et le picaud sont difficiles Ă  distinguer. L’un et l’autre de ces poissons plats sont d’identiques dimensions, au bord de nos cĂŽtes surtout, de 20 Ă  30 centimĂštres de longueur moyenne ; au large, on pĂȘche cependant des plies de taille double. De forme ovale l’un comme l’autre, ou plus exactement losangĂ©e, ils prĂ©sentent tous les deux un dos renflĂ©, d’un gris roussĂątre, tachĂ© de gros points rouges, encore que le picaud soit parfois dĂ©pourvu de cette particularitĂ©, mais lui seulement. VoilĂ  pour les facteurs communs.

Pourtant, le dos de la plie est uniformĂ©ment lisse, alors que celui du picaud offre en son milieu et sur toute la longueur de l’arĂȘte dorsale un pointillĂ© rugueux sensible au toucher, mais uniquement Ă  rebrousse-poil, si l’on peut ainsi dire. Il suffira donc de passer l’index sur le dos du poisson, en remontant de la queue Ă  la tĂȘte, pour savoir instantanĂ©ment s’il s’agit d’un picaud ou d’une plie.

Le ventre de chacune de ces deux espĂšces de poisson diffĂšre en revanche, et cela saute aux yeux, on peut le dire : celui de la plie est d’un blanc nettement bleutĂ©, quasi translucide, et vergĂ© de stries, alors que celui du picaud demeure d’un blanc jaunĂątre opaque, sans trace de vergettes.

Le contact du dos, l’examen du ventre permettront ainsi de distinguer tout de suite l’un et l’autre de ces poissons, lorsqu’on les aura trouvĂ©s gaffĂ©s au fer des lignes. Les picauds seront de prĂ©fĂ©rence consommĂ©s le plus tĂŽt possible et, si l’on veut, les plies mises au garde-manger, oĂč elles pourront attendre une bonne journĂ©e, dans des conditions de fraĂźcheur dĂ©sirables. On observera d’ailleurs que les picauds meurent trĂšs vite hors de l’eau, tandis que la survie des plies est d’un temps beaucoup plus considĂ©rable.

Les plies et picauds montent au rivage Ă  chaque flux et redescendent avec la marĂ©e. Cette « montĂ©e Â» a vraisemblablement une cause alimentaire : nos poissons plats viennent s’approvisionner en arĂ©nicoles, vers de sable bruns ou rouges, ou pelouses dentelĂ©es, dont les bancs foisonnent parfois Ă  proximitĂ© du littoral mĂȘme, la plupart du temps sur fonds de vase. De tels bancs, je le redis au passage, sont d’un repĂ©rage facile aux yeux du bassier, en raison des menus monticules de sable torsadĂ© que les vers refoulent Ă  la surface, en s’enfouissant dans leur repaire.

Sachant ainsi oĂč les plies et picauds ont coutume de se restaurer, le pĂȘcheur Ă©tablira aisĂ©ment ses lignes ou plantera ses bĂŽcains, mais en aval de ces bancs Ă  vers et Ă  distance respectueuse, de maniĂšre Ă  se garder d’une concurrence Ă©videmment redoutable : on conçoit que le poisson n’hĂ©sitera jamais entre une proie vivante et un appĂąt crucifiĂ© Ă  l’hameçon et dĂ©jĂ  crevĂ©.

Il est opportun de tendre ses lignes Ă  mi-course entre les limites de basse-eau et l’emplacement des bancs d’arĂ©nicoles. On aura intĂ©rĂȘt Ă  placer les engins de pĂȘche de part et d’autre d’un ru charriant des eaux de terre, donc contenant souvent aussi des parcelles alimentaires, ou sur le versant montant d’une « dunette Â» de faible dĂ©nivellation. Et toujours sur des sables Ă  grain fin mais non vaseux — il est patent que le brouillage des eaux, Ă  l’instant du flot, risquerait d’empĂȘcher les poissons d’apercevoir les boettes accrochĂ©es aux lignes.

Les procĂ©dĂ©s de pĂȘche les plus efficaces sont, je le redis, les lignes dormantes tendues Ă  mĂȘme le sable et les bĂŽcains, piquets de tamaris plantĂ©s sur les grĂšves, Ă  ras du sable, et pourvus d’avançons Ă  hameçon. J’ai dĂ©jĂ  exposĂ© longuement, dans ces mĂȘmes colonnes (1), le procĂ©dĂ© trĂšs spĂ©cial dit de pĂȘche au bĂŽcain. Mais il ne semblera pas mauvais que je vous informe aussi des principes d’une ligne.

Les dormantes, ainsi appelĂ©es parce qu’on peut les laisser en place pendant les quatre ou cinq jours d’une marĂ©e considĂ©rĂ©e, et souvent bien plus longtemps, selon l’Ă©tat de la mer, sont faites d’un long filin de lin goudronnĂ©, tordu Ă  trois brins au moins et d’une rĂ©sistance Ă  toute Ă©preuve : les tractions subies au flux comme au reflux, mĂȘme par mer tranquille, sont en effet considĂ©rables. Une telle ligne se dĂ©veloppera sur une longueur de 50 Ă  100 mĂštres. Tous les 50 centimĂštres, la ligne reçoit un avançon, d’un fil plus lĂ©ger, d’une longueur de 20 centimĂštres environ et pourvue d’un hameçon — du 4. En fait, c’est l’avançon qui constitue la ligne Ă  proprement parler, le long filin faisant ici office de gaule, si l’on veut transposer les donnĂ©es du problĂšme de la riviĂšre Ă  l’ocĂ©an. Bien entendu, l’avançon doit ĂȘtre arrimĂ© trĂšs soigneusement Ă  la ligne-support, de maniĂšre qu’il ne puisse y glisser, donc risquer de s’accrocher Ă  l’avançon voisin, Ă  l’heure du flux.

La ligne-support sera mise en place Ă  marĂ©e basse, chacune de ses extrĂ©mitĂ©s fixĂ©e le plus solidement possible Ă  un robuste piquet, enfoncĂ© d’un demi-mĂštre au moins dans le sable. Il tombe sous le sens qu’elle doit ĂȘtre disposĂ©e parallĂšlement au rivage, en tout cas parallĂšlement Ă  la ligne de montĂ©e des eaux, facile Ă  dĂ©terminer.

Il ne restera plus au bassier qu’Ă  amorcer ses « zins 3 » avec des vers de sable, de prĂ©fĂ©rence des bruns, d’une peau plus rĂ©sistante, Ă  couvrir chaque boette d’une poignĂ©e de sable mou, pour les protĂ©ger avant immersion des attaques Ă©ventuelles des crabets, et Ă  attendre la montĂ©e des eaux, puis, six heures plus tard, leur reflux, pour procĂ©der Ă  la relĂšve des avançons dĂ©couverts.

Le dĂ©ferrage des plies et picauds piĂ©gĂ©s (quelquefois aussi des anguilles ou des bars) se fera dans les mĂȘmes conditions que celles de la pĂȘche aux bĂŽcains. Le pourcentage des prises demeure identique, toutes choses Ă©gales d’ailleurs, dans chacun des deux procĂ©dĂ©s, et cela se comprend. Mais, lorsqu’on aura loisir de pĂȘcher sur de trĂšs longues grĂšves sableuses, loin de tout rocher, donc de tout varech, lorsque la pĂ©riode de pĂȘche sera favorisĂ©e de mers calmes, lorsque le baromĂštre semblera au beau fixe (ce n’est pas souvent le cas en octobre), on prĂ©fĂ©rera avec profit la ligne dormante aux bĂŽcains, dans la mesure oĂč l’on peut longtemps la laisser en place, au bĂ©nĂ©fice de la loi du moindre effort.»

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°656 Octobre 1951 Page 601
  • Auteur : Maurice-Ch. RENARD.
  • Titre : PĂȘche cotiĂšre automnale – Les poissons plats
  • Rubrique : La pĂȘche

En résumé

La ligne dormante est une ligne de fond munie de plusieurs hameçons eschĂ©s avec des appĂąts adaptĂ©s aux poissons plats. Elle se pose sur le sable ou les rochers Ă  marĂ©e basse et se relĂšve Ă  marĂ©e haute, aprĂšs quelques heures de patience. Il faut choisir un endroit oĂč les poissons plats ont l’habitude de se cacher, comme les trous, les crevasses ou les zones sableuses prĂšs des herbiers. Il faut toutefois respecter la rĂ©glementation en vigueur, notamment le nombre et la taille des prises autorisĂ©es, ainsi que les pĂ©riodes de fermeture.

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Notes :

🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sĂ©lectionnĂ© quelques images d’époque et photos personnelles qui Ă©voquent l’ambiance ou les techniques dĂ©crites.
⚠ Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourd’hui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.

  1. picauds : Flet commun ↩
  2. vatel  : Maurice-Ch. Renard fait sans doute rĂ©fĂ©rence Ă  François Vatel dont le nom reste associĂ© Ă  la gastronomie du XVIIĂšme siĂšcle. ↩
  3. zins : hameçon en crĂ©ole ↩

Article publié en 2011

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