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L’araignée de mer au havenet

Un article documenté sur l’araignée de mer au havenet paru dans Le Chasseur Français en 1952.

Un bien vilain nom, mais un crustacé fort savoureux!

1952 Un jour que je rentrais de la pêche, plutôt chargé, par chance – à la mer, ce n’est pas toujours fête, – une jeune dame amie m’accueillit avec joie sur le seuil de son office. Tandis qu’elle s’affairait à son fourneau, cette Parisienne en vacances, pour y préparer le court-bouillon propice, et que je m’apprêtais à trier sur l’évier le contenu de ma hotte, elle s’enquit de mon tableau de chasse:

”Des étrilles, quelques poupards et, au fond du «dossier», une araignée du tonnerre: deux pieds d’envergure…”
Un grand bruit de ferraille, un cri perçant: abandonnant son feu et son fait-tout, la dame avait déjà bondi sur la table.
“Qu’est-ce qui vous prend? Vous avez aperçu une souris?”
“Non, sanglota la dame, d’une voix de fillette apeurée. Pas une souris, c’est l’araignée…”

J’eus bien du mal à expliquer à cette innocente qu’homonymie n’est pas ressemblance, que l’araignée de plafond, de placard ou de jardin – les plus redoutées de nos campagnes et de nos compagnes – sont des arachnides à huit pattes, alors que les araignées de mer, pourvues de dix pattes, puisque ce sont des décapodes, se trouvent être en fait des crabes-pises, donc des crustacés, et des plus fins. Toutes choses que le dictionnaire n’explique point et que l’Académie feint d’ignorer. (Au fait, quand se décidera-t-on à admettre sous la Coupole un «marin à pied»: la tradition veut qu’on y élise, de temps à autre, quelque amiral chevronné, ayant bourlingué au loin, mais la Vieille Dame aux habits verts semble avoir toujours fait fi des bassiers.)

Une sorte de grand crabe difforme

À peine rassurée, mon amie consentit enfin à examiner ma prise. C’était une araignée par hasard ramassée dans mon pousseux et toute pavoisée de mousse d’un vert salade, une sorte de grand crabe difforme, une maja de belle taille pourtant et d’un appétissant aspect pour qui savait que le dedans s’avère souvent meilleur que le dehors.

Au lieu de disposer, comme l’étrille et le dormeur, d’une carapace en largeur, l’araignée présente un corps allongé, d’une forme presque ovoïde, découpé en quatre bosses principales, dont l’antérieure constitue en somme la tête. L’ensemble est hérissé de multiples épines et il vaut mieux prendre en principe cet animal à la pincette qu’à la main. Mais c’est, au demeurant, un crustacé bien plus inoffensif que l’étrille, le poupard et surtout le homard, en raison de la faiblesse relative de ses pinces, encore qu’il soit préférable de ne s’y pas trop frotter.

Araignée de mer - Aquarium d'Arcachon, 2017
Araignée de mer – Aquarium d’Arcachon, 2017

En abondance sur les côtes de Bretagne

Ce crustacé des mers chaudes (paraît-il) se retrouve en abondance sur les côtes de Bretagne, notamment dans le Finistère et les Côtes-du-Nord. La Normandie en possède aussi, singulièrement la Manche et le Calvados, mais c’est un fait certain que la qualité gastronomique de l’araignée se développe au fur et à mesure qu’on pousse davantage vers l’ouest pour la pêcher. Ainsi les majas de la baie de l’Orne et des rochers de Langrune restent-elles aqueuses ou d’assez amère saveur, tandis que les araignées du Trégor, par exemple, passent à bon droit pour un régal de gourmet.

La plupart du temps, l’araignée séjourne hors des lisières de basse mer, en eau profonde, au large, mais souvent en eau claire. Il semble en effet que la facilité avec laquelle les varechs, surtout les varechs verts, lui «végètent dessus» permette à cet arthropode de se dissimuler aisément n’importe où, par voie de camouflage naturel.

On prétend que l’araignée vient frayer à la côte dès la fin de l’automne ou au début des premiers froids, sa ponte s’effectuant dans les herbiers situés aux environs du zéro des cartes et parfois largement en deçà. Ce n’est qu’après avoir assuré ainsi la reproduction de l’espèce que l’araignée regagne ses hauts-fonds.

Ce crustacé se déplace plus souvent en colonies qu’à l’unité, mais les passages se font presque toujours de nuit, semble-t-il. Pour ma part, je n’ai jamais constaté de migrations en masse et, dans la plupart des cas, c’est par hasard que j’ai péché une ou des araignées, en poussant la bourraque dans des coins à bouquets et à anglettes.

Un havenet avec une une vieille jante de vélo

Il existe toutefois un curieux mode de pêche de l’araignée fort usité en Bretagne, région où la maja se montre la plus abondante, un procédé renouvelé du «havenet boëtté», dont on se sert pour capturer la crevette rouge dans certains trous de rochers, loin des points bas du reflux.

L’appareil envisagé n’est au fond qu’une épuisette à plus vaste rayon, aux dimensions adaptées à celles du gibier marin ici en cause. Si le principe reste le même, l’exécution en demeure plus simple encore, à condition toutefois qu’on puisse disposer d’une importante surface de filet.

Dans le cas considéré, le cercle de l’épuisette est constitué par une vieille jante de vélo, tout bêtement. Tout au long de cette jante, au préalable débarrassée des rayons de bicyclette, bien entendu, on monte une corde de charge, en lin goudronné, sur laquelle on arrime un filet en forme de sac, et non d’entonnoir, de manière à créer une sorte de poche d’une profondeur toujours supérieure au diamètre de la jante.

L’instrument ainsi gréé, on tend de part et d’autre des bords de la jante deux solides fils en croix et on amorce l’appareil au moyen de débris de poisson, de crevettes ou de crabes mous, fixés au point d’intersection des deux fils.

Il ne reste plus au pêcheur qu’à monter son épuisette comme il le ferait d’une balance marine: quatre cordes de suspension aboutissant à un filin lui-même assujetti à une gaule, à moins qu’on ne préfère pêcher directement à la main (cette dernière méthode présente d’ailleurs à mon sens de réels avantages, dans la mesure où le bassier perçoit plus aisément les réactions des crustacés en train de «mordre»).

Lorsque le pêcheur a pu repérer, à proximité des côtes le plus souvent, des trous rocheux parfois profonds, et surtout des couloirs où gîte ou passe l’araignée, il lui suffit de s’armer de patience (et de son épuisette de grande taille) pour réaliser des pêches très abondantes.

Dès que le bassier perçoit une touche caractéristique, qui indique que l’araignée a commencé à se sustenter, il imprime un coup sec à sa balance. Ce mouvement a pour effet de précipiter au fond du filet l’araignée trop gourmande. En halant aussitôt l’appareil pour le sortir du trou, on a toutes chances de pouvoir verser directement dans la hotte de pêche une très belle pièce, car les majas ainsi capturées ne sont jamais de petite dimension.

En quelques heures, un bassier averti peut facilement remplir d’araignées un panier mannequin profond et, presque toujours, d’araignées parfaitement pleines et de haut goût.

Au court-bouillon

Est-il utile d’ajouter que l’araignée se fait cuire au court-bouillon, exactement comme les dormeurs et les étrilles, et se consomme de même manière? C’est un mets de très fine qualité, de chair presque aussi savoureuse que le homard, et d’une «farce» meilleure encore que celle du tourteau.

De telles perspectives gastronomiques méritent bien le peu de peine que l’on pourra prendre à dérayonner une vieille roue, dénichée dans un grenier, voire dans un dépôt de ferrailles, et à tisser (ou acheter) un filet à mailles de 12, dans les conditions naguère ici même exposées.

Maurice-Ch. RENARD.
Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 408
Titre original: L’araignée de mer

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Article publié initialement en 2017.
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