đŸ”” L’Ă©trille le crabe du pĂȘcheur Ă  pied (1950)

Cet article, paru en 1950 dans Le Chasseur Français, dĂ©crit la pĂȘche de l’Ă©trille durant cette dĂ©cennie.

📰 L’Ă©trille

1950

Avec le tourteau ou poupard, dont nous parlerons quelque jour, l’Ă©trille constitue l’un des plus dĂ©licats Ă©chantillons de l’espĂšce crabienne. Sur les cĂŽtes rocheuses de l’Atlantique ou de la Manche, on peut commencer Ă  pĂȘcher utilement ce crustacĂ© dĂšs mars et jusqu’Ă  fin septembre. Mais, avant de prendre le large, Ă  pied, pour l’y cueillir, peut-ĂȘtre conviendrait-il d’apprendre Ă  la distinguer de ses congĂ©nĂšres. Tous les crabes, y compris le tourteau, possĂšdent une carapace lisse, Ă  l’exception de l’Ă©trille justement. Premier moyen de discrimination. Seule l’Ă©trille se couvre d’une cuirasse rugueuse, trĂšs facile Ă  reconnaĂźtre au toucher, mĂȘme Ă  la vue. De lĂ  sans doute provient son nom le plus courant, renouvelĂ© de l’outil d’Ă©curie. Mais on l’appelle aussi, selon les rĂ©gions, liret (un liret quasi anagrammatique), ou crabe laineux, crabe velu, crabe anglais, voire anglette : d’ingĂ©nieux onomatologues affirment que cette dĂ©signation, trĂšs employĂ©e dans la Manche, date du siĂšcle dernier, Ă  l’Ă©poque oĂč les soldats d’Albion Ă©taient tout de rouge vĂȘtus et du mĂȘme rouge que l’Ă©trille cuite.

Etrille - Aquarium Dieppe 2016
Etrille – Aquarium Dieppe 2016

Car, avant le court-bouillon, cet estimable crustacĂ© offre un tout autre aspect, vous vous en doutez. La couleur gĂ©nĂ©rale de la bĂȘte va du gris rougeĂątre au gris bleutĂ©, selon les varechs oĂč elle vit, trĂšs nettement diffĂ©rente de celle de tous ses autres congĂ©nĂšres, qu’il s’agisse des crabes gris, verts ou rouges, d’une valeur comestible des plus discutables. Sa configuration gĂ©nĂ©rale est sensiblement celle du crabe ordinaire, Ă  cela prĂšs que l’Ă©trille est pourvue, Ă  l’arriĂšre de sa carapace, de quatre pattes natatoires plates, deux de chaque cĂŽtĂ©, et que ses deux pinces antĂ©rieures, dentelĂ©es comme celles du homard, sont d’une mobilitĂ© Ă©tonnante.

Telle vous apparaĂźtra l’Ă©trille, en quelque coin des cĂŽtes que vous l’alliez pĂȘcher. Il importera avant tout de bien apprendre Ă  la reconnaĂźtre. Elle seule vaut qu’on la prenne, mais le vaut largement : la dĂ©licatesse de sa chair, qui s’apparente Ă  celle du homard, la qualitĂ© de sa « farce » ou « terrinĂ©e », du moins lorsque l’animal est bien plein — une farce compacte, d’un jaune clair, — vous rĂ©compenseront amplement, vous et vos convives, de la peine que vous aurez dĂ» prendre Ă  la cueillir. Car, si le crabe courant, mĂȘme le tourteau, se laisse apprĂ©hender Ă  peu prĂšs sans combattre, il n’en va pas de mĂȘme de l’Ă©trille, prompte Ă  l’attaque et de dĂ©fense rapide. Donc attention Ă  ses pinçures, peu dangereuses, certes, mais jamais agrĂ©ables ; attention aussi Ă  ses prestes rĂ©flexes comme Ă  la vitesse de sa fuite en Ă©clair ! Notez Ă  ce propos qu’il vous arrivera d’en rater couramment quatre sur cinq, Ă  l’Ă©poque de vos dĂ©buts, et ne vous en dĂ©couragez point. Tandis que le crabe vulgaire vit gĂ©nĂ©ralement sur le sable, oĂč d’ailleurs il pullule, dans la mesure oĂč prĂ©cisĂ©ment on en fait fi, l’Ă©trille ne se rencontre jamais que sur des fonds rocheux, plats le plus souvent, et toujours pourvus d’herbes marines, particuliĂšrement de varechs courts. Cette rĂšgle ne souffre pas d’exception.

Sur la plupart des cĂŽtes de France — mais ceci n’est pas absolu, — ces fonds rocheux ne se dĂ©couvrent guĂšre qu’en trĂšs fortes marĂ©es, par consĂ©quent aux environs de la nouvelle et de la pleine lune. L’Ă©trille Ă©tant peu nomade et ne se renouvelant donc point pour un emplacement considĂ©rĂ©, on aura intĂ©rĂȘt Ă  entrer en campagne (sous-marine) les deux ou trois jours qui prĂ©cĂšdent chaque lunaison et chacun de ses pleins : c’est presque Ă  coup sĂ»r dans les premiers jours oĂč la mer commence Ă  « bien dĂ©couvrir » que l’on remportera les victoires les plus nombreuses.

Ceci Ă©tablit, par voie de consĂ©quence, les dates les plus favorables pour la pĂȘche Ă  l’Ă©trille : elles s’inscrivent ce mois-ci, par exemple, entre le 2 et le 5, puis entre le 16 et le 19. L’indispensable consultation d’un annuaire des marĂ©es dĂ©terminera automatiquement les diverses autres dates fructueuses jusqu’Ă  l’automne, en mĂȘme temps qu’elle fixera l’heure prĂ©vue de votre dĂ©part : la pĂȘche Ă  l’Ă©trille exigeant un large dĂ©couvert des zones marines, on ne pourra jamais l’entreprendre que deux heures avant la basse eau, quitte Ă  continuer la cueillette dans la premiĂšre demi-heure du flux au plus tard.

Ainsi prĂ©parĂ©s, et la hotte ou le panier au dos, il ne vous reste plus qu’Ă  connaĂźtre les modes de pĂȘche de l’Ă©trille.

Cette chasse d’un genre spĂ©cial peut s’effectuer aussi bien Ă  pied sec, Ă  quelque 200 mĂštres en arriĂšre de la ligne de retrait des eaux, que dans des mares peu profondes ou en pleine eau, dans le flot descendant. Mais les dĂ©butants auront intĂ©rĂȘt Ă  ne pratiquer que la pĂȘche Ă  dĂ©couvert, la plus aisĂ©e — pas si facile pourtant.

On retiendra que, dĂšs assĂšchement des plateaux, l’Ă©trille, se sentant au sec, donc quelque peu dĂ©sarmĂ©e en raison de la surprenante rapiditĂ© de sa nage, s’empressera de se rĂ©fugier dans le premier abri venu : soit dans les anfractuositĂ©s d’un rocher, soit sous de larges pierres plates d’un diamĂštre oscillant entre 20 et 30 centimĂštres en gĂ©nĂ©ral. Cette particularitĂ© dictera le choix de l’instrument de travail le mieux approprié : le croc. Un croc emmanchĂ© d’un bout de bois que le pĂȘcheur tiendra constamment Ă  la main et qui lui servira Ă  arracher l’Ă©trille Ă  son trou, le plus souvent Ă  soulever les pierres sous lesquelles elle se sera nichĂ©e. À la rigueur, un simple tisonnier de cuisine fera l’affaire, sans supplĂ©er toutefois aux multiples services que rendra le crochet.

La mĂ©thode la plus sĂ»re consiste Ă  retourner ces pierres d’un coup sec, en direction de la mer ou latĂ©ralement, pour dĂ©busquer plus vite votre gibier, jamais par devers soi, pour Ă©viter de recevoir la pierre sur le pied. Il faut cependant se garder de laisser retomber le caillou sur sa base, opĂ©ration qui risquerait d’Ă©craser une Ă©trille incertaine du sens de sa fuite. Presque toujours, l’Ă©trille ainsi dĂ©logĂ©e s’enfuit aussitĂŽt, se dĂ©pĂȘchant de rallier la mare ou le ru le plus proche, animĂ©e d’un subtil instinct de conservation et d’une Ă©tonnante rapiditĂ© de mouvements.

Il est nĂ©cessaire de faire trĂšs vite pour la ramasser, et beaucoup plus que vous ne le pensez. Les professionnels ou les amateurs entraĂźnĂ©s, par consĂ©quent endurcis, n’hĂ©sitent jamais Ă  coiffer l’Ă©trille Ă  pleine main, au risque d’une pinçure. Les dĂ©butants pourront s’initier Ă  cet utile mode de capture en se gantant de gros cuir, ce qui fait toujours bien rire les marins. Les timorĂ©s ne manquent pas de doubler leur croc, ou leur tisonnier, d’une paire de pincettes de cheminĂ©e, curieuse transposition neptunienne de leur attirail culinaire. D’autres se munissent d’une Ă©puisette, dont ils se servent pour emprisonner l’Ă©trille sans danger. Mais ces complications retardent toujours la capture du crustacĂ© — quand elles ne favorisent pas en fait sa fuite.

Je conseille, par contre, l’emploi de l’Ă©puisette Ă  qui voudra pĂȘcher l’Ă©trille en mare peu profonde, des mares larges s’entend, non de petits trous emplis d’eau de mer. LĂ , on utilisera encore et toujours le crochet pour dĂ©placer les pierres, mais on constatera que l’Ă©trille s’envole dans l’eau (le terme est plus juste qu’on ne pense) bien plus vite encore qu’elle ne s’enfuit sur le sol. On aura, dans ce cas, intĂ©rĂȘt Ă  cueillir l’Ă©trille par en dessous, au moyen de l’Ă©puisette. Les vĂ©ritables Ă©trilleurs savent capturer l’anglette Ă  la main, en pleine nage, mais ce procĂ©dĂ© exige alors une grande sĂ»retĂ© de vision en mĂȘme temps qu’une saine apprĂ©ciation de l’indice de rĂ©fraction de l’eau salĂ©e. Si on le pratique dans le reflux mĂȘme, cela devient un vĂ©ritable sport, ainsi que vous le pourrez constater.

Tels sont les moyens les plus courants de pĂȘcher « l’Ă©trille pour l’Ă©trille ». Sans doute, en certaines saisons, singuliĂšrement dans les annĂ©es chaudes et s’agissant de secteurs riches en crustacĂ©s de cette espĂšce, il est loisible de pĂȘcher l’Ă©trille Ă  la bourraque ou au pousseux (le grand havenet en demi-cercle), en mĂȘme temps que le bouquet. Mais ce n’est jamais lĂ  qu’un Ă -cĂŽtĂ© de la pĂȘche Ă  la crevette rouge. Et il demeure peu recommandable d’enfermer dans un mĂȘme panier Ă©trille et bouquet, la premiĂšre se montrant friande du second.

Quelques conseils encore, pour en finir avec ce dĂ©licieux crustacĂ©, si apprĂ©ciĂ© des gourmets. Les Ă©trilles les plus grosses se capturent toujours Ă  proximitĂ© de la limite des basses eaux. À mesure qu’on s’approche du zĂ©ro des cartes, elles croissent en volume, mais pas toujours en nombre. Les Ă©trilles les plus pleines et les plus fines se reconnaissent Ă  ce que leur carapace, trĂšs dure au toucher, a tendance Ă  se disjoindre du corps, au point de jonction postĂ©rieur. Plus le sillon ainsi tracĂ© s’accentue, meilleure sera l’Ă©trille. Les Ă©trilles femelles, c’est-Ă -dire Ă  valve subventrale arrondie, sont exquises dans la pĂ©riode qui prĂ©cĂšde la ponte : elles comportent alors, tout comme les homardes, un caviar rouge d’une particuliĂšre saveur. Au court-bouillon comme Ă  l’armoricaine, vous m’en direz des nouvelles.»

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°637 Mars 1950 Page 153
  • Auteur : Maurice-Ch. RENARD.
  • Titre : L’Ă©trille
  • Rubrique : la pĂȘche

En Résumé

L’étrille vit sur les cĂŽtes rocheuses de l’Atlantique et de la Manche, se cachant dans les anfractuositĂ©s des roches et sous les varechs ou les petites pierres. Elle se distingue par sa carapace rugueuse et hexagonale, ses yeux rouges, et ses pattes natatoires plates Ă  l’arriĂšre.
La pĂȘche Ă  l’étrille se fait en retournant les pierres ou en cherchant dans les anfractuositĂ©s des rochers. Elle est rapide et difficile Ă  attraper. La chair de l’étrille est dĂ©licate et apprĂ©ciĂ©e, similaire Ă  celle du homard. Les femelles sont particuliĂšrement savoureuses avant la ponte.

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Article publié initialement en 2016.

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