La mer des Sargasses est une rĂ©gion de l’ocĂ©an Atlantique situĂ©e entre les Bermudes et les Antilles. Elle est connue pour ses grandes quantitĂ©s d’algues brunes flottantes appelĂ©es sargasses. Cette rĂ©gion du Monde a Ă©tĂ© le théâtre de nombreuses lĂ©gendes, notamment celle du triangle des Bermudes, oĂą plusieurs navires et avions auraient disparu sans laisser de traces. Certains rĂ©cits Ă©voquent aussi des crĂ©atures marines Ă©tranges, des pirates fantĂ´mes ou des Ă®les enchantĂ©es cachĂ©es dans les sargasses.
Voici un article de 1952 paru dans Le Chasseur Français sur la réalité de la mer des Sargasses.
đź“° La mer des Sargasses

«Tout le monde a entendu parler de la mer des Sargasses. On sait que c’est une vaste Ă©tendue d’eau tiède et tranquille au large des Antilles oĂą des masses considĂ©rables d’algues flottantes s’amassent et oĂą, chaque annĂ©e, les anguilles du monde entier viennent pondre. L’idĂ©e prĂ©conçue se forme tout de suite de masses d’algues enchevĂŞtrĂ©es et formant mĂŞme des radeaux flottants, empĂŞchant ou gĂŞnant la marche des navires.
La rĂ©alitĂ© est tout de mĂŞme un peu diffĂ©rente. La mer des Sargasses occupe dans la rĂ©gion des calmes du Tropique du Cancer près de 7 millions de kilomètres carrĂ©s, soit plus de douze fois la surface de la France. Pour parler plus exactement, elle se trouve au centre de l’Atlantique, entre les Açores et les Antilles, et occupe un vaste rectangle compris entre le 30e degrĂ© et le 75e degrĂ© de longitude ouest et le 20e et le 40e degrĂ© de latitude nord ; elle est, pour s’exprimer autrement, Ă la latitude du Maroc français.

– Justus Perthes Editeur, Gotha, 1891.
La mer des Sargasses Ă©tait dĂ©jĂ connue des anciens ; il en est dĂ©jĂ fait mention dans le fameux PĂ©riple d’Himilcon avant notre ère. Bien avant dĂ©jĂ , une mention brève en est faite dans le PĂ©riple de Scylax de Caryande, navigateur du temps de Darius 1er. Mais la mer des Sargasses est surtout connue par le livre de bord de Christophe Colomb, qui y pĂ©nĂ©tra le 16 septembre 1492. Dès le 17 septembre, Christophe Colomb Ă©crit : « On vit beaucoup d’herbe et très souvent, et on y trouva mĂŞme un crabe vivant. » Depuis, de très nombreuses observations ont eu lieu dans la mer des Sargasses et ont permis d’en avoir une notion moins sommaire que celle donnĂ©e par Christophe Colomb.

E. Benjamin Andrews, Public domain, via Wikimedia Commons
La tempĂ©rature des eaux de la mer des Sargasses est douce et constante : elle varie Ă peine de 20 Ă 28°. Ă€ 300 mètres, le thermomètre y indique une tempĂ©rature constante de 16°, et c’est Ă cette profondeur que viennent pondre les anguilles. La teneur saline y est Ă©levĂ©e et atteint 38 grammes par litre alors que la MĂ©diterranĂ©e, sur nos cĂ´tes, n’atteint que 36 grammes et l’OcĂ©an 32. Les eaux y sont très limpides.
Mais, surtout, la mer des Sargasses ne prĂ©sente pas l’aspect d’une prairie marine oĂą les bateaux ne peuvent avancer qu’avec la plus grande peine. Les sargasses, qui sont des algues voisines du fucus, ne sont pas fixĂ©es Ă des rochers, mais sont flottantes, ce qui est normal, puisque le fond dĂ©passe 1.500 mètres ; il ne s’agit pas de dĂ©bris d’algues, mais bel et bien d’algues vivantes. Ce sont de longues tiges flottantes portant des parties plates en forme de feuille et de très nombreuses vĂ©sicules arrondies pleines d’air qui servent de flotteurs. Ce sont ces flotteurs qui ont fait donner le nom aux sargasses de « raisins des Tropiques », car ils ont la forme de petits grains de raisin de couleur variant du vert au jaune et au brun.
On y a dĂ©nombrĂ© 8 espèces de sargasses toutes très voisines. Il est remarquable de constater que, d’une part, toutes les autres algues de la famille des sargasses sont fixĂ©es aux rochers des rivages et que, d’autre part, seules celles de la mer des Sargasses n’ont point d’organes reproducteurs. Elles se reproduisent uniquement par bouturage naturel. La densitĂ© des sargasses Ă©tant en moyenne de une grosse touffe d’algue par carrĂ© de 10 mètres de cĂ´tĂ©, chaque touffe se prĂ©sente sous une forme arrondie d’une trentaine de centimètres de diamètre, parfois en longues bandes Ă©troites, parfois et plus rarement, par petits Ă®lots atteignant 8 Ă 10 mètres carrĂ©s. On constate que leur abondance est toujours plus grande Ă la fin de l’Ă©tĂ© qu’Ă la fin de l’hiver, car la croissance des vĂ©gĂ©taux est plus active Ă la belle saison.

Auteur inconnu Unknown author, Public domain, via Wikimedia Commons
Dans ces algues flottantes habitent des animaux extrĂŞmement curieux. On y trouve des vers qui vivent dans les tubes calcaires et spiralĂ©s accrochĂ©s aux sargasses. On y trouve Ă©galement des anatifes, ces curieux crustacĂ©s en forme de mollusques, des sortes de patèles, et mĂŞme un champignon parasite. Les crevettes et les crabes y sont frĂ©quents. Les poissons volants y circulent et dĂ©posent leurs Ĺ“ufs sur ces algues. On y trouve Ă©galement une baudroie, un poisson dit « hĂ©risson de mer » et surtout deux sortes d’hippocampe, dont le corps est très dĂ©chiquetĂ©, et qui ressemblent Ă s’y mĂ©prendre Ă un fragment de sargasse. D’ailleurs, d’une façon gĂ©nĂ©rale, les animaux qui vivent libres dans la mer des Sargasses prennent l’allure et la couleur des herbes qui les entourent. On y trouve Ă©galement de grandes crevettes rouges et des poulpes. Enfin, tout le monde sait que les anguilles viennent s’y reproduire et que c’est de lĂ que partent les jeunes civelles ou pibales, qui, en suivant le Gulf-Stream, arrivent en trois ans jusqu’Ă nos eaux douces françaises.
Quelle est donc l’origine de ces algues flottantes ? On a longtemps cru qu’il s’agissait d’algues arrachĂ©es que le courant ramassait dans un vaste remous. L’hypothèse Ă©tait d’autant plus plausible que jamais on n’a trouvĂ© sur les sargasses d’organes reproducteurs. On sait maintenant que la rĂ©alitĂ© est tout autre. On sait que les sargasses sont des algues adaptĂ©es Ă la vie flottante en haute mer et que, depuis une Ă©poque extrĂŞmement reculĂ©e, elles se propagent par bouturage naturel. On sait que, au point de vue gĂ©ologique, l’ocĂ©an Atlantique nord est relativement rĂ©cent, puisqu’il s’est creusĂ© au milieu et Ă la fin du tertiaire. Il existait Ă cette Ă©poque, sur l’emplacement des sargasses, un immense continent qui unissait l’AmĂ©rique Ă la France et Ă l’Europe ; ce continent s’est effondrĂ© Ă la fin du tertiaire en laissant comme reliques les Ă®les des Açores, de Madère, des Canaries et des Antilles. Quant aux sargasses flottantes, elles sont les restes des vastes prairies sous-marines accrochĂ©es au fond des mers, Ă faible profondeur, près des cĂ´tes de cet ancien continent. Le continent s’Ă©tant effondrĂ©, la plupart des plantes et des animaux vivant sur les cĂ´tes de ce continent ont disparu, seuls quelques animaux et quelques plantes se sont adaptĂ©s aux nouvelles conditions de vie. Les sargasses notamment, ont pu vivre parce qu’elles arrivaient Ă se reproduire par bouturage naturel, et seuls ont survĂ©cu les animaux capables de vivre sur les sargasses. Quant Ă l’anguille, qui se trouve en abondance dans les eaux douces et saumâtres des Açores et des Canaries, elle a pu subsister parce qu’elle se reproduisait dans l’OcĂ©an. La population d’anguilles s’est fractionnĂ©e ainsi en de nombreuses populations isolĂ©es parmi les Ă®les subsistantes et dans les eaux douces du continent amĂ©ricain et du continent europĂ©en, auxquels Ă©tait autrefois rattachĂ© le continent disparu. Mais les anguilles ont toujours continuĂ© de venir pondre leurs Ĺ“ufs dans leur lieu de ponte d’origine.
Telle est l’hypothèse actuelle de la formation de cette curieuse mer des Sargasses avec l’explication la plus rationnelle de la reproduction de ces algues et de la reproduction de l’anguille.
Une expĂ©dition ocĂ©anographique française est prĂ©vue pour l’an prochain dans la mer des Sargasses, et des vues sous-marines doivent ĂŞtre prises. EspĂ©rons que, dans deux ans, nous pourrons admirer un beau film sous-marin sur nos Ă©crans.»
Infos source
- Source : Le Chasseur Français N°670 Décembre 1952 Page 728
- Auteur : LARTIGUE.
- Titre : La mer des Sargasses
- Rubrique : La pĂŞche
YouTube : A la recherche de la nouvelle mer des Sargasses
A la recherche de la nouvelle mer des Sargasses / IRD
Du 19 juin au 13 juillet 2017, une expédition scientifique conduite à bord de l’ANTEA, navire de la Flotte océanographique française, a permis à une équipe de chercheurs de réaliser un échantillonnage important de la faune et de la flore associées aux « radeaux des sargasses ». Ces algues brunes pélagiques présentes dans l’Atlantique tropical s’échouent depuis 2011 sur les côtes de l’Atlantique, du fait de la circulation océanique. Elles sont responsables de problèmes environnementaux, sanitaires et économiques importants, particulièrement dans l’arc antillais et en Guyane française.
Les chercheurs et enseignants-chercheurs de l’IRD, d’Aix-Marseille Université, de l’Université des Antilles, de l’Université de Bretagne occidentale ont effectué un périple de 25 jours entre la Guyane française, les Antilles et la mer des sargasses. Découvrez leur travail de repérage, d’échantillonnage et d’analyse des sargasses, dans ce film réalisé par IRD Images.
En résumé
La mer des Sargasses demeure un écosystème hors du commun, témoin d’une adaptation naturelle remarquable. Entre algues sans racines, poissons mimétiques et anguilles migratrices, elle illustre la complexité et la beauté de la vie marine.
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Notes :
🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sélectionné quelques images d’époque et photos personnelles qui évoquent l’ambiance ou les techniques décrites.⚠️ Note : certaines techniques décrites ici peuvent être aujourd’hui interdites ou réglementées. Vérifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.
Article mis à jour en 2022, publié initialement en 2019.