🔵 Bernard-l’ermite : vie, pêche et appât naturel (1952)

Le bernard-l’ermite possède un abdomen mou, ce qui le rend vulnérable. Pour se protéger, il utilise des coquilles vides qu’il choisit avec soin. À mesure qu’il grandit, il change régulièrement de coquille, recherchant celles qui correspondent le mieux à sa taille et à sa morphologie. Il n’hésite pas à entrer en compétition avec d’autres individus pour s’emparer d’une coquille convoitée.

Principalement détritivore, le bernard-l’ermite se nourrit de débris organiques, mais son régime alimentaire peut aussi inclure des algues, des éponges, des mollusques et de petits animaux. Il joue ainsi un rôle essentiel dans le recyclage de la matière organique au sein des écosystèmes marins.

Un article du Chasseur Français de 1952 nous renvoie quelques décennies en arrière et nous rappelle comment nos parents et arrières parents appréhendaient la pêche.

📰 Le bernard-l’ermite

1951

«Parmi les crustacĂ©s, les zoologistes distinguent de nombreux sous-ordres. Mais, pour le commun des mortels, un seul de ces sous-ordres compte : celui des dĂ©capodes, des « dix-pieds Â». C’est lui, en effet, qui comprend les espèces les plus courantes, du moins dans les poissonneries, sinon dans le plancton marin ! D’un cĂ´tĂ©, langoustes, homards, crevettes, Ă©crevisses et autres crustacĂ©s Ă  grande queue, les « macroures Â» ; de l’autre, les crustacĂ©s Ă  abdomen peu dĂ©veloppĂ©, les « brachyoures Â», les crabes. Entre les uns et les autres, dont nous avons dĂ©jĂ  parlĂ© ici, les « anomoures Â», crustacĂ©s Ă  abdomen anormal, qui se rĂ©duisent dans nos mers aux bernards-l’ermite.

D’un coup de pierre, on Ă©crase la coquille. Parmi les dĂ©bris calcaires, la petite bĂŞte agite ses pattes cuirassĂ©es, tord son ventre nu. On sĂ©pare, entre deux doigts, cet abdomen rose qui, par sa forme, appelle dĂ©jĂ  l’hameçon oĂą le voici empalĂ© bientĂ´t. Et les poissons, qui n’ont jamais pu goĂ»ter au boudin tendre et dodu si bien protĂ©gĂ© au fond d’une coquille, se verront offrir ce morceau de roi en un fallacieux repas.

Pauvre bernard-l’ermite ! Il paye d’avoir toujours cachĂ© son ventre grassouillet dans une coquille volĂ©e … L’affaire doit remonter Ă  des temps très lointains. Quand un crustacĂ© mue, il se sent « tout chose Â» de n’avoir plus qu’une chair molle ; alors, privĂ© de sa carapace protectrice, il essaie de se dĂ©rober dans quelque retrait qui l’abrite et il n’en bouge plus tant que ses tĂ©guments ne se sont pas durcis. Or donc certain bernard dut avoir, jadis, l’astuce de s’abriter dans une coquille vide. Le domicile lui parut si confortable qu’il ne le quitta plus. Aussi, juste rançon d’une vie trop facile, sa chair ne s’est pas affermie et, mĂŞme, s’est amollie.

Il est facile aux enfants de cueillir des bernards-l’ermite près du rivage, sur les moindres rocailles. Les coquilles Ă  pattes se distinguent aisĂ©ment de celles qui contiennent encore leur vrai propriĂ©taire, leur constructeur, le mollusque : elles n’adhèrent point aux rochers. Et les voilĂ  dans les seaux peints de bateaux Ă  voile. C’est amusant, ces coquilles qui trottent ! Si l’eau est plus profonde, une cuillère tordue attachĂ©e Ă  un bambou permet de les ramasser au fond.

Bernard l’hermite , Estran - cité de la_mer à Dieppe, 2016
Bernard l’Hermite , Estran – citĂ© de la mer Ă  Dieppe, 2016

Mais les professionnels utilisent des paniers d’osier hĂ©misphĂ©riques qu’ils mouillent en profondeur et qui leur donnent des bernards-l’ermite beaucoup plus gros que ceux du bord. Professionnels, le mot n’est pas exagĂ©rĂ©, sur le littoral provençal du moins : il existe Ă  Marseille de vĂ©ritables spĂ©cialistes qui ne pratiquent qu’une seule pĂŞche, celle des « piades Â», car tel est le nom provençal des bernards, comme « soldats Â» le nom normand, et « pagures Â» le vĂ©ritable nom, le nom scientifique. Sur la cĂ´te, entre Marseille et le delta du RhĂ´ne, il n’est pas rare de voir mouiller des chapelets de 100 Ă  200 nasses. Mais nous ne prĂ©tendons pas qu’on voit Ă  la surface leurs bouĂ©es de liège : rien, en effet, ne les signale. Deux fois par semaine, leurs propriĂ©taires vont les relever, accrochant avec un grappin la corde qui les relie l’un Ă  l’autre. De Marseille, les « piades Â» sont expĂ©diĂ©s Ă  tous les ports mĂ©diterranĂ©ens, oĂą ils constituent un des principaux appâts.

Sur le rivage, les coquilles que choisissent les pagures sont petites, le plus souvent des natices, des cĂ©rites, des troques, des littorines. Dans les nasses, des fonds de 10 Ă  30 mètres, on remonte surtout des pagures qui ont pour demeure de plus grosses coquilles, surtout des murex. Enfin, si des filets en ramènent de zones plus profondes, on trouve des pagures dans les plus gros spĂ©cimens de coquilles, buccins, tritons ou cassidaires ; et les hĂ´tes de ces palais Ă©maillĂ©s Ă  la belle architecture contournĂ©e peuvent atteindre la taille d’une petite langouste. Devant ces monstrueux exemplaires (on en voit souvent dans les aquariums), on a peine Ă  les croire de mĂŞme espèce que les bestioles qui remuent leurs pattes Ă  leur fenĂŞtre dans les seaux des enfants.

Ils sont rouges, formidablement armĂ©s. Deux paires de longues antennes, deux grosses pinces en massue dont la droite, plus forte, sert de porte Ă  la demeure, huit paires de pattes, et cette affreuse bouche des crustacĂ©s aux pattes-mâchoires toujours en mouvement comme des pièces d’horlogerie. Par lĂ -dessus, deux gros yeux noirs, perles montĂ©es sur pĂ©doncules. On croirait quelque guerrier Ă  la puissante armure, en particulier un samouraĂŻ japonais. Il est admis que c’est cet aspect si redoutable qui vaut Ă  ces animaux le nom de « soldat Â» sous lequel ils sont connus en Normandie, celui de « soldiers-crab Â» qu’ils portent en Angleterre. Mais ne serait-ce point plutĂ´t parce qu’ils montent Ă©ternellement la garde Ă  l’entrĂ©e de leur guĂ©rite ?

Ă€ vrai dire, les dix paires de pattes annoncĂ©es par le nom du sous-ordre des « dĂ©capodes Â» n’apparaissent pas clairement : une paire porte les pinces, deux paires forment les pattes marcheuses ; les dernières paires sont atrophiĂ©es et, souvent, rejetĂ©es sur le dos, leur dĂ©veloppement Ă©tant contrariĂ© par le frottement de la coquille dont elles sortent Ă  peine. Quant au reste du corps, vous ne le verrez pas : ce soldat protège ses derrières. Tout au plus pourrez-vous entrevoir un peu de sa nuditĂ© rose lorsqu’il se tendra hors de sa maison pour saisir une proie.

Ă€ moins de le surprendre quand le voleur de maison change de demeure, pour cause d’agrandissement interne, ce qui est tout une affaire, et passionnante Ă  observer.»

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°665 Juillet 1952 Page 410
  • Auteur : Pierre DE LATIL.
  • Titre : Le bernard-l’ermite
  • Rubrique : la pĂŞche
Un bernard l’ermite trouvé le long du rivage dans le Nord de la France
Un bernard l’ermite trouvé le long du rivage dans le Nord de la France

En résumé

Si le bernard-l’ermite évoque d’abord l’image d’un petit crustacé trottinant en coquille, il incarne bien plus : un maillon crucial du recyclage marin, un appât de choix pour les pêcheurs expérimentés et un symbole vivant des traditions côtières.

Notes :

🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sélectionné quelques images d’époque et photos personnelles qui évoquent l’ambiance ou les techniques décrites.

⚠️ Note : certaines techniques décrites ici peuvent être aujourd’hui interdites ou réglementées. Vérifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.

Article publié initialement en 2010.

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