lâarticle se lit comme une chronique naturaliste riche, avec des observations prĂ©cises et pĂ©dagogiques sur les caractĂ©ristiques du turbot. Les techniques de pĂȘche sont Ă©voquĂ©es mais restent en arriĂšre-plan, en attendant une âchronique ultĂ©rieureâ.
đ° Les poissons plats et le turbot
« C’est le poisson plat typique, son nom scientifique est Rhombus maximus, et il appartient Ă la famille des PleuronectidĂ©s. Gardons-nous bien de le confondre, ainsi que les poissons plats de cette famille, qui comprend la sole, la limande, le carrelet, la barbue, avec la raie, qui est d’une famille trĂšs diffĂ©rente. La raie a, en effet, le corps aplati, mais repose sur son ventre ; c’est un poisson symĂ©trique, avec les deux yeux situĂ©s du cĂŽtĂ© dorsal et de chaque cĂŽtĂ© de la bouche, qui, elle, est situĂ©e sur le ventre.

Les vrais poissons plats, au contraire, sont dissymĂ©triques ; ils reposent non sur le ventre, mais sur un cĂŽtĂ© qui fait face ventrale et qui est colorĂ©e en blanc ; l’autre cĂŽtĂ©, formant face dorsale, est gĂ©nĂ©ralement plus brun et plus bombĂ©. Le dos et le ventre vĂ©ritables du poisson plat se traduisent par une simple crĂȘte terminĂ©e par une nageoire courant jusqu’Ă la caudale.
Au premier stade de son dĂ©veloppement, le turbot (ainsi d’ailleurs que les autres poissons plats) est un petit poisson rond, semblable Ă un alevin d’un quelconque poisson, puis il Ă©volue, ses yeux se dĂ©placent lentement sur un cĂŽtĂ© qui devient face dorsale, l’autre formant face ventrale ; chacune de ces nouvelles faces prend ensuite la coloration qui lui est propre. On remarquera que l’anus se trouve placĂ© au milieu de la crĂȘte ventrale, ce qui souligne bien la dissymĂ©trie totale du poisson.
Le turbot ne se sert jamais de ses nageoires pour se dĂ©placer, mais il ondule ; cette faiblesse est compensĂ©e par un mimĂ©tisme admirable qui le rend complĂštement invisible sur les fonds oĂč il repose.
En revanche, il bat un record : c’est le poisson du monde le plus prolifique. Un beau turbot de 3 Ă 4 kilogrammes est capable de pondre jusqu’Ă 8 ou 10 millions d’Ćufs, alors que la morue, considĂ©rĂ©e en gĂ©nĂ©ral comme le plus prolifique des poissons, n’arrive qu’Ă 5 millions et qu’une truite de 1 kilogramme ne donne guĂšre que 1.500 Ă 2.000 Ćufs. L’Ćuf de turbot, il est vrai, n’est pas plus gros qu’une tĂȘte d’Ă©pingle et atteint Ă peine 1 millimĂštre de diamĂštre, alors que celui du carrelet (plie ou platuche) arrive Ă 2 millimĂštres, ce qui reprĂ©sente un volume huit fois plus grand.
Le turbot va pondre, au printemps, au large, Ă plusieurs milles de la cĂŽte. Les Ćufs, qui ont Ă peu prĂšs la densitĂ© de l’eau, s’Ă©lĂšvent dans les couches superficielles de la mer et Ă©closent quelques jours plus tard, non sans que les sardines et autres poissons planctonophages n’y fassent des ravages.
Les jeunes alevins se portent vers le rivage et s’installent le plus souvent le long des plages sableuses. Si l’on songe qu’une centaine de turbots femelles est capable de produire un milliard d’Ćufs, il faut bien que des quantitĂ©s d’Ćufs et d’alevins soient perdues, car la population de turbots n’augmente guĂšre le long de nos cĂŽtes. Les jeunes alevins ne se nourrissent que de plancton et, quand ils sont plus grands, de poissons morts et de dĂ©bris divers qu’ils trouvent sur les fonds. Les adultes de grandes dimensions pĂšsent de 2 Ă 5 kilogrammes et vivent dans les fonds vaseux du large. Les alevins et les poissons de un Ă deux ans pĂšsent jusqu’Ă 500 et 800 grammes et vivent Ă proximitĂ© de la cĂŽte, dans de trĂšs faibles profondeurs.
Nos petits alevins de quelques jours, jusqu’alors semblables Ă de quelconques alevins de poissons ronds, se mĂ©tamorphosent trĂšs rapidement. On peut observer en quelques jours le dĂ©placement des yeux et l’aplatissement du corps. Le petit poisson cesse alors de nager normalement et se laisse couler au fond, dans une faible profondeur d’eau ; mesurant Ă ce moment Ă peine 2 centimĂštres, il va maintenant grossir trĂšs rapidement et, dĂšs le mois de juillet, mesure 10 centimĂštres. C’est encore une proie facile pour les voraces : raies, chiens de mer, maigres, et, comme il reste souvent sous quelques centimĂštres d’eau, des pĂȘcheurs peu consciencieux en dĂ©truisent un assez grand nombre avec des filets Ă petites mailles. Fin septembre, il atteint 150 Ă 200 grammes, et mĂȘme plus, et arrive Ă 400 grammes en octobre.
Le turbot se pĂȘche au chalut, entre 30 et 40 mĂštres de profondeur, sur les fonds vaseux. Le turbot moyen est pĂ©chĂ© Ă l’automne au filet que l’on traĂźne, la nuit, Ă marĂ©e basse. On peut aussi le pĂȘcher Ă la ligne, mais de jour seulement. Dans une chronique ultĂ©rieure, je parlerai de ce mode de pĂȘche, ainsi que de l’Ă©levage artificiel du turbot.
Je reviens sur la mĂ©tamorphose des poissons plats. Ces poissons se couchent sur un cĂŽtĂ©, et toujours sur le mĂȘme cĂŽtĂ© selon l’espĂšce. Le turbot, lui, est toujours couchĂ© sur le cĂŽtĂ© droit. Il se prĂ©sente donc au pĂȘcheur du cĂŽtĂ© gauche, qui est colorĂ© et bombĂ©, qui porte les deux yeux, et la bouche ouverte vers la gauche ; il en est de mĂȘme de la barbue ; au contraire, le carrelet, la plie, le flet prĂ©sentent leur cĂŽtĂ© droit. Ce phĂ©nomĂšne de version du mĂȘme cĂŽtĂ© est constant selon l’espĂšce de poisson. Toutefois, de mĂȘme que les mollusques prĂ©sentent de rares inversions de spirales (coquilles dextres et senestres), de mĂȘme les poissons plats offrent une fois sur dix mille, et plus rarement encore, des individus aberrants tournĂ©s Ă l’inverse et dont les yeux et la bouche sont tournĂ©s Ă l’envers de ceux de leurs congĂ©nĂšres normaux. Je vous laisse le soin de trouver des individus tournĂ©s Ă l’envers. Si, Ă vos prochaines vacances, vous trouvez une de ces exceptions, vous pourrez l’offrir au MusĂ©um d’histoire naturelle ou au MusĂ©e maritime le plus proche ; c’est un cadeau qui sera apprĂ©ciĂ© Ă sa juste valeur.»
Infos source
- Source : Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 280
- Auteur : LARTIGUE.
- Titre : Le turbot
- Rubrique : La pĂȘche
En résumé
DerriĂšre son apparence discrĂšte, le turbot rĂ©vĂšle une richesse biologique exceptionnelle et une capacitĂ© de survie admirable. Comprendre son cycle de vie, ses particularitĂ©s morphologiques et son rĂŽle dans l’Ă©cosystĂšme marin nous pousse Ă le prĂ©server. Un poisson plat, certes, mais loin dâĂȘtre banal.
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Notes :
đ Pour enrichir ce texte ancien, jâai sĂ©lectionnĂ© quelques images dâĂ©poque et photos personnelles qui Ă©voquent lâambiance ou les techniques dĂ©crites.
â ïž Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourdâhui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.
Article publié initialement en 2012.