🔵 Le turbot : secrets d’un poisson méconnu (1951)

l’article se lit comme une chronique naturaliste riche, avec des observations précises et pédagogiques sur les caractéristiques du turbot. Les techniques de pêche sont évoquées mais restent en arrière-plan, en attendant une “chronique ultérieure”.

đź“° Les poissons plats et le turbot

1951

« C’est le poisson plat typique, son nom scientifique est Rhombus maximus, et il appartient Ă  la famille des PleuronectidĂ©s. Gardons-nous bien de le confondre, ainsi que les poissons plats de cette famille, qui comprend la sole, la limande, le carrelet, la barbue, avec la raie, qui est d’une famille très diffĂ©rente. La raie a, en effet, le corps aplati, mais repose sur son ventre ; c’est un poisson symĂ©trique, avec les deux yeux situĂ©s du cĂ´tĂ© dorsal et de chaque cĂ´tĂ© de la bouche, qui, elle, est situĂ©e sur le ventre.

Le Turbot. - (Ancienne illustration)
Le Turbot. – (Ancienne illustration)

Les vrais poissons plats, au contraire, sont dissymĂ©triques ; ils reposent non sur le ventre, mais sur un cĂ´tĂ© qui fait face ventrale et qui est colorĂ©e en blanc ; l’autre cĂ´tĂ©, formant face dorsale, est gĂ©nĂ©ralement plus brun et plus bombĂ©. Le dos et le ventre vĂ©ritables du poisson plat se traduisent par une simple crĂŞte terminĂ©e par une nageoire courant jusqu’Ă  la caudale.

Au premier stade de son dĂ©veloppement, le turbot (ainsi d’ailleurs que les autres poissons plats) est un petit poisson rond, semblable Ă  un alevin d’un quelconque poisson, puis il Ă©volue, ses yeux se dĂ©placent lentement sur un cĂ´tĂ© qui devient face dorsale, l’autre formant face ventrale ; chacune de ces nouvelles faces prend ensuite la coloration qui lui est propre. On remarquera que l’anus se trouve placĂ© au milieu de la crĂŞte ventrale, ce qui souligne bien la dissymĂ©trie totale du poisson.

Le turbot ne se sert jamais de ses nageoires pour se dĂ©placer, mais il ondule ; cette faiblesse est compensĂ©e par un mimĂ©tisme admirable qui le rend complètement invisible sur les fonds oĂą il repose.

En revanche, il bat un record : c’est le poisson du monde le plus prolifique. Un beau turbot de 3 Ă  4 kilogrammes est capable de pondre jusqu’Ă  8 ou 10 millions d’Ĺ“ufs, alors que la morue, considĂ©rĂ©e en gĂ©nĂ©ral comme le plus prolifique des poissons, n’arrive qu’Ă  5 millions et qu’une truite de 1 kilogramme ne donne guère que 1.500 Ă  2.000 Ĺ“ufs. L’Ĺ“uf de turbot, il est vrai, n’est pas plus gros qu’une tĂŞte d’Ă©pingle et atteint Ă  peine 1 millimètre de diamètre, alors que celui du carrelet (plie ou platuche) arrive Ă  2 millimètres, ce qui reprĂ©sente un volume huit fois plus grand.

Le turbot va pondre, au printemps, au large, Ă  plusieurs milles de la cĂ´te. Les Ĺ“ufs, qui ont Ă  peu près la densitĂ© de l’eau, s’Ă©lèvent dans les couches superficielles de la mer et Ă©closent quelques jours plus tard, non sans que les sardines et autres poissons planctonophages n’y fassent des ravages.

Les jeunes alevins se portent vers le rivage et s’installent le plus souvent le long des plages sableuses. Si l’on songe qu’une centaine de turbots femelles est capable de produire un milliard d’Ĺ“ufs, il faut bien que des quantitĂ©s d’Ĺ“ufs et d’alevins soient perdues, car la population de turbots n’augmente guère le long de nos cĂ´tes. Les jeunes alevins ne se nourrissent que de plancton et, quand ils sont plus grands, de poissons morts et de dĂ©bris divers qu’ils trouvent sur les fonds. Les adultes de grandes dimensions pèsent de 2 Ă  5 kilogrammes et vivent dans les fonds vaseux du large. Les alevins et les poissons de un Ă  deux ans pèsent jusqu’Ă  500 et 800 grammes et vivent Ă  proximitĂ© de la cĂ´te, dans de très faibles profondeurs.

Nos petits alevins de quelques jours, jusqu’alors semblables Ă  de quelconques alevins de poissons ronds, se mĂ©tamorphosent très rapidement. On peut observer en quelques jours le dĂ©placement des yeux et l’aplatissement du corps. Le petit poisson cesse alors de nager normalement et se laisse couler au fond, dans une faible profondeur d’eau ; mesurant Ă  ce moment Ă  peine 2 centimètres, il va maintenant grossir très rapidement et, dès le mois de juillet, mesure 10 centimètres. C’est encore une proie facile pour les voraces : raies, chiens de mer, maigres, et, comme il reste souvent sous quelques centimètres d’eau, des pĂŞcheurs peu consciencieux en dĂ©truisent un assez grand nombre avec des filets Ă  petites mailles. Fin septembre, il atteint 150 Ă  200 grammes, et mĂŞme plus, et arrive Ă  400 grammes en octobre.

Le turbot se pĂŞche au chalut, entre 30 et 40 mètres de profondeur, sur les fonds vaseux. Le turbot moyen est pĂ©chĂ© Ă  l’automne au filet que l’on traĂ®ne, la nuit, Ă  marĂ©e basse. On peut aussi le pĂŞcher Ă  la ligne, mais de jour seulement. Dans une chronique ultĂ©rieure, je parlerai de ce mode de pĂŞche, ainsi que de l’Ă©levage artificiel du turbot.

Je reviens sur la mĂ©tamorphose des poissons plats. Ces poissons se couchent sur un cĂ´tĂ©, et toujours sur le mĂŞme cĂ´tĂ© selon l’espèce. Le turbot, lui, est toujours couchĂ© sur le cĂ´tĂ© droit. Il se prĂ©sente donc au pĂŞcheur du cĂ´tĂ© gauche, qui est colorĂ© et bombĂ©, qui porte les deux yeux, et la bouche ouverte vers la gauche ; il en est de mĂŞme de la barbue ; au contraire, le carrelet, la plie, le flet prĂ©sentent leur cĂ´tĂ© droit. Ce phĂ©nomène de version du mĂŞme cĂ´tĂ© est constant selon l’espèce de poisson. Toutefois, de mĂŞme que les mollusques prĂ©sentent de rares inversions de spirales (coquilles dextres et senestres), de mĂŞme les poissons plats offrent une fois sur dix mille, et plus rarement encore, des individus aberrants tournĂ©s Ă  l’inverse et dont les yeux et la bouche sont tournĂ©s Ă  l’envers de ceux de leurs congĂ©nères normaux. Je vous laisse le soin de trouver des individus tournĂ©s Ă  l’envers. Si, Ă  vos prochaines vacances, vous trouvez une de ces exceptions, vous pourrez l’offrir au MusĂ©um d’histoire naturelle ou au MusĂ©e maritime le plus proche ; c’est un cadeau qui sera apprĂ©ciĂ© Ă  sa juste valeur.»

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°651 Mai 1951 Page 280
  • Auteur : LARTIGUE.
  • Titre : Le turbot
  • Rubrique : La pĂŞche

En résumé

Derrière son apparence discrète, le turbot rĂ©vèle une richesse biologique exceptionnelle et une capacitĂ© de survie admirable. Comprendre son cycle de vie, ses particularitĂ©s morphologiques et son rĂ´le dans l’Ă©cosystème marin nous pousse Ă  le prĂ©server. Un poisson plat, certes, mais loin d’être banal.

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Notes :

🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sélectionné quelques images d’époque et photos personnelles qui évoquent l’ambiance ou les techniques décrites.
⚠️ Note : certaines techniques décrites ici peuvent être aujourd’hui interdites ou réglementées. Vérifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.

Article publié initialement en 2012.

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