PubliĂ© en 1950 dans Le Chasseur Français, cet article tĂ©moigne d’une Ă©poque oĂč la pĂȘche Ă la truite de mer s’appuyait sur observation, patience et transmission orale. Son auteur partage une connaissance fine de ce poisson migrateur, mĂȘlant description naturaliste et techniques dâantan.
đ° La truite de mer
« Bien que son appellation la range parmi les poissons d’eau salĂ©e, cette truite, tout comme le saumon, passe une notable partie de son existence en riviĂšre et, de ce fait, semble pouvoir entrer dans mes attributions de chroniqueur de pĂȘche en eau douce ; c’est pourquoi j’en parle aujourd’hui.
C’est lĂ un fort beau poisson, qu’on peut rencontrer dans de nombreux cours d’eau qui se jettent dans la mer du Nord, la Manche et l’Atlantique ; elle est rare au sud de la Loire.
Cette truite rappelle beaucoup le saumon par ses formes élancées, ses nageoires puissantes, sa queue épaisse et musculeuse.

-Rvalette, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
Son dos est gris-fer, souvent un peu bleuùtre ; ses flancs sont gris clair et son ventre argenté. De nombreuses petites taches noires, en forme de X, se voient en dessus comme au dessous de la ligne latérale. Sa taille est moins forte que celle du saumon ; néanmoins, les sujets de dix à douze livres ne sont pas trÚs rares.
Ce qui la distingue de notre truite commune est sa tĂȘte un peu moins large, son museau plus pointu ; la couleur trĂšs claire des nageoires ventrales et anale, ainsi que la bordure noire de sa nageoire adipeuse, qui est rougeĂątre chez nos truites de pays.
Sa chair est saumonĂ©e, mais souvent plus pĂąle que celle du « salmosalar » ; elle n’en est pas, pour cela, moins savoureuse, ainsi que j’ai pu en juger.
En eau salée, elle vit comme le saumon et nos grandes truites des lacs, se nourrissant exclusivement de proies vivantes.
Comme le premier, elle vient frayer en eau douce. M. le commandant Latour nous apprend que la principale remontĂ©e des grosses truites de mer a lieu en juin, Ă peu prĂšs Ă la mĂȘme Ă©poque que celles des petits saumons d’Ă©tĂ©, en Bretagne.
Mais il semble qu’elles pĂ©nĂštrent moins haut dans les riviĂšres et se contentent d’une eau moins pure et moins froide.
La durĂ©e de l’incubation des Ćufs est plus courte et, dit-on, ne dĂ©passe guĂšre trente jours.
En mer, nous dit un auteur rĂ©putĂ©, il est rare que les pĂȘcheurs Ă la ligne capturent ce poisson. Cependant, un correspondant qui habite la cĂŽte du Morbihan m’a assurĂ© que, sous certaines conditions, la chose Ă©tait parfaitement possible. Il est Ă peu prĂšs inutile de la pĂȘcher durant le jour. On ne peut rĂ©ussir que pendant une marĂ©e montante de nuit, aprĂšs un gros temps et alors que la mer a repris sa tranquillitĂ©. C’est sur une plage de sable assez pentĂ©e qu’il convient de se placer. On pĂȘche avec un solide « pater-noster » Ă trois gros hameçons nos 0, 1 ou 2, appĂątĂ©s de crevettes cuites, dites « bouquets », et posĂ© Ă bonne distance du bord, au delĂ des brisants ; une profondeur d’eau de 3 mĂštres environ est nĂ©cessaire. La touche est presque toujours trĂšs violente, et souvent le poisson se prend seul, sans ferrage. Comme ces truites voyagent volontiers en petits groupes, on peut parfois en prendre plusieurs en peu de temps et quelquefois de fort belles. Le renseignement valait d’ĂȘtre notĂ©.
En riviĂšre, et notamment dans les estuaires oĂč on la trouve Ă peu prĂšs Ă toute Ă©poque, la pĂȘche Ă la crevette cuite est productive. On la prend Ă©galement aux vers de mer : arĂ©nicoles ou gravettes, aux petites anguilles ou lamproies vivantes et mĂȘme au simple ver de terre un peu gros. Plus en amont, la pĂȘche au lancer avec poissons morts ou appĂąts mĂ©talliques peut donner, certains jours, d’assez bons rĂ©sultats. Mais ce qui est encore beaucoup plus passionnant et sportif est sa pĂȘche Ă la mouche artificielle.
En riviĂšre, contrairement Ă ce qui se passe en eau salĂ©e, on rĂ©ussit beaucoup mieux quand le temps est sombre, mauvais, que le vent souffle Ă rebours du courant, agite l’eau et cache le pĂȘcheur.
Dans ce cas, il faut employer une canne puissante, de 14 Ă 15 pieds, en bambou refendu, du mĂȘme genre que les cannes Ă saumon. Elle permet de lancer contre le vent ou tout au moins de biais une ligne en soie impermĂ©able assez lourde, terminĂ©e par un solide bas de ligne en fortes florences choisies, portant une seule mouche fixĂ©e Ă son extrĂ©mitĂ©.
On pĂȘche en « mouche noyĂ©e », mais souvent « up stream », en remontant le courant si celui-ci n’est pas trĂšs rapide ; en cas contraire, on pĂȘche « en dĂ©rive », en descendant la riviĂšre, « down stream ».
Quant au choix des mouches, l’opinion des « spĂ©cialistes » que j’ai pu consulter est de se servir de modĂšles assez petits, montĂ©s sur hameçons des nos 6 Ă 8 et choisis habituellement dans les teintes neutres : grises, rousses, jaunĂątres, brunes, verdĂątres, etc. …, parfois agrĂ©mentĂ©s de quelques plumes brillantes.
Cependant, ma modeste expĂ©rience m’a permis de constater que des mouches montĂ©es sur hameçons n° 7 et imitant les mouches anglaises « Red palmer », « Wickham faney », « Mallard and claret », « Jock-Scott », « Blue doctor », « Oronge grouse », ainsi que la fameuse « Alexandra », Ă©taient Ă peu prĂšs aussi efficaces.
Comme pour le saumon, faire « travailler » la mouche entre deux eaux et mĂȘme un peu profond, par une sorte de « dandinette » verticale ou oblique, donnera souvent de bons rĂ©sultats.
En gĂ©nĂ©ral, la touche de la belle truite de mer est rude ; elle est plus vorace que le saumon et attaque pour manger. Le ferrage doit ĂȘtre net, franc, mais sans raideur ni violence.
Suivant la taille du poisson accrochĂ©, le pĂȘcheur agira en consĂ©quence. Il vaut mieux, toutefois, ne pas trop temporiser et amener la prise au bord le plus tĂŽt possible. La truite de mer se rate assez souvent et sait fort bien se dĂ©crocher.
Le plus souvent une bonne et large Ă©puisette tĂ©lescopique suffit ; de nos jours, la prise de piĂšces dĂ©passant 3 kilos est devenue peu commune, surtout dans les cours d’eau dont le dĂ©bit n’est pas trĂšs important.
P.-S. â Il a Ă©tĂ© signalĂ©, dans le numĂ©ro du journal du 1er juillet dernier, la prohibition de la pĂȘche Ă l’asticot dans les cours d’eau de premiĂšre catĂ©gorie dits « Ă salmonidĂ©s ». D’aprĂšs des renseignements de source autorisĂ©e, cette mesure, valable pour la Loire et la Haute-Loire, ne serait pas gĂ©nĂ©rale en France et, notamment, pour le Cantal.
Dans l’impossibilitĂ© oĂč nous sommes de connaĂźtre les textes des ArrĂȘtĂ©s prĂ©fectoraux de tous les dĂ©partements, nous recommandons aux pĂȘcheurs qui se dĂ©placent de consulter, Ă leur arrivĂ©e dans un dĂ©partement autre que celui de leur domicile, l’ArrĂȘtĂ© prĂ©fectoral en vigueur dans ce dĂ©partement, qui pourra leur ĂȘtre communiquĂ© dans les mairies ou gendarmeries auxquelles ils devront s’adresser, afin de ne pas risquer, Ă©ventuellement, une contravention pour pĂȘche illicite.
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Infos source
- Source : Le Chasseur Français N°643 Septembre 1950 Page 535
- Auteur : R. PORTIER.
- Titre : La truite de mer
- Rubrique : La pĂȘche
En résumé
Ce regard dâun pĂȘcheur du siĂšcle dernier sur la truite de mer nous rappelle combien la nature et les pratiques halieutiques ont Ă©voluĂ©.
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Notes :
đ Pour enrichir ce texte ancien, jâai sĂ©lectionnĂ© quelques images dâĂ©poque et photos personnelles qui Ă©voquent lâambiance ou les techniques dĂ©crites.
â ïž Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourdâhui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.
Article publié initialement en 2009