đŸ”” Les raies : adaptation fascinante (1950)

Les raies ne sont pas de simples poissons plats : elles reprĂ©sentent une prouesse d’adaptation biologique fascinante. Cet article publiĂ© en 1950 dans le magazine “Le Chasseur Français” explore la morphologie unique et les mĂ©canismes respiratoires ingĂ©nieux de ces crĂ©atures marines.

📰 Les raies

« Il y a deux maniĂšres de vivre Ă  plat : sur le cĂŽtĂ© ou sur le ventre. Les soles ont choisi le premier, les raies le second pour s’aplatir et se dissimuler sur le sable. Mais, dans la premiĂšre solution, un des yeux va se trouver aveuglĂ©. Qu’Ă  cela ne tienne ! Cet Ɠil, chez les soles et leurs cousines, se met Ă  voyager, fait le tour de la tĂȘte du trĂšs jeune poisson pour rejoindre presque l’autre, Ă  moins qu’il ne prĂ©fĂšre prendre un raccourci Ă  travers les chairs encore transparentes. La seconde solution offre, elle aussi, un trĂšs grave dĂ©faut : la bouche plaquĂ©e contre le sol ne pourra pas jouer son rĂŽle d’aspirateur dans le mĂ©canisme respiratoire sans que du sable ne se mĂȘle Ă  l’eau et ne vienne engorger les branchies ; les raies, cependant, s’organisent fort adroitement pour Ă©viter cet inconvĂ©nient ; nous allons voir comment.

Chez la sole, il n’y a que deux cĂŽtĂ©s, ni dos ni ventre. Chez la raie, au contraire, il n’y a pas de cĂŽtĂ©s, rien qu’un dos et qu’un ventre exagĂ©rĂ©ment aplatis. Chez la premiĂšre prĂ©dominent les nageoires dorsale, ventrale, anale, caudale, qui se rĂ©unissent pour aurĂ©oler le corps. Chez la seconde, dorsale, anale et ventrale n’existent pas, ou bien sont atrophiĂ©es ou rejetĂ©es vers la queue ; par contre, les pectorales ont subi un dĂ©veloppement excessif et se sont soudĂ©es Ă  la tĂȘte.

Les poissons, entendus dans le sens le plus courant du mot, sont en gĂ©nĂ©ral des « tĂ©lĂ©ostĂ©ens Â», c’est-Ă -dire des poissons possĂ©dant un squelette osseux et des branchies recouvertes par des opercules, tous poissons aux Ɠufs fĂ©condĂ©s, sauf exceptions, extĂ©rieurement, aprĂšs la ponte.

Les raies, elles, sont, avec les squales, des « sĂ©laciens Â», poissons dont les Ɠufs sont fĂ©condĂ©s par le mĂąle intĂ©rieurement Ă  la femelle, dont le squelette est cartilagineux et dont les fentes branchiales sont visibles sur les cĂŽtĂ©s de la tĂȘte.

Mais, au premier abord, la structure des raies apparaĂźt peu clairement, car leur tĂȘte n’a pas de face latĂ©rale. Aussi les cinq paires de fentes branchiales sont-elles bien forcĂ©es de se placer soit sur le ventre, soit sur le dos ; elles ont choisi le ventre, ce qui les rend invisibles dans la position normale de la bĂȘte : Ă  plat dans le sable.

Parmi tous les poissons, les raies (Ă©tant bien entendu que nous comprenons dans ce mot tous les aigles, anges, torpilles, pastenagues et autres trygons, qui sont classĂ©s comme « hypotrĂšmes Â», c’est-Ă -dire animaux Ă  fentes par en dessous), les raies donc sont les mieux adaptĂ©es Ă  cette vie trĂšs particuliĂšre. Elles constituent mĂȘme un exemple parfait d’« adaptation Â».

Quelle imprudence d’employer ici ce mot ! Il peut soulever des polĂ©miques Ă  ne jamais s’Ă©teindre ! Aussi prĂ©viendrons-nous toute discussion en refusant de prendre parti dans la vieille querelle : l’animal a-t-il adaptĂ© ses organes Ă  son genre de vie ou bien se dĂ©brouille-t-il pour adapter sa vie Ă  ses organes ? Dans notre cas particulier : les raies ont-elles des pectorales dĂ©formĂ©es parce qu’elles vivent Ă  plat sur le fond ou bien vivent-elles sur le fond parce qu’elles ont des pectorales dĂ©formĂ©es ? … Ayant pris ces prĂ©cautions, nous pouvons employer le mot adaptation ; chacun l’entendra Ă  sa guise : les faits n’en seront pas moins ce qu’ils sont et pourront ĂȘtre admirĂ©s sans aucune prĂ©occupation philosophique …

Admirable adaptation, d’abord, de la respiration … Les raies ont beau ne pas se coller au fond comme les soles et s’y poser simplement par le bord de leurs ailes plus que par leur centre mĂȘme, elles n’en seraient pas moins gĂȘnĂ©es par le sable qu’elles aspireraient avec l’eau nĂ©cessaire Ă  leur respiration. Aussi les raies ne respirent-elles pas comme tous les autres poissons, en aspirant de l’eau par la bouche, en la rejetant par les ouĂŻes. Elles disposent sur leur face dorsale d’un organe particulier : les Ă©vents.

Il s’agit lĂ , en somme, d’une sixiĂšme paire de fentes branchiales qui a choisi de dĂ©boucher en haut et qui s’est diffĂ©renciĂ©e. Ce sont des trous qui s’ouvrent sur la tĂȘte, derriĂšre les yeux. Mais les trous sont petits et de teinte peu marquĂ©e, alors que les Ă©vents apparaissent, au contraire, comme des cratĂšres sombres au sommet de mamelons charnus ; aussi semblent-ils ĂȘtre eux-mĂȘmes les yeux, des yeux extraordinaires en proie Ă  de surprenantes pulsations.

Ces pulsations, ce sont celles de la respiration ; elles marquent la dilatation de la rĂ©gion cervicale pour aspirer de l’eau et sa contraction pour l’expulser par en dessous, Ă  travers les fentes branchiales. Elles remplacent donc la bouche dans son rĂŽle habituel, celle-ci ne servant plus qu’Ă  la seule alimentation.

La Raie - (Ancienne illustration)
La Raie – (Ancienne illustration)

Mais, dans sa fonction respiratoire, la gueule des autres poissons se ferme pour que l’eau ne reflue pas du cĂŽtĂ© oĂč elle est entrĂ©e. Comment, chez les raies, l’eau ne sortira-t-elle pas du trou bĂ©ant de l’Ă©vent ? Par l’artifice d’une nouvelle « adaptation Â», grĂące Ă  des clapets, des valvules qui se referment lors de chaque contraction cervicale, et que l’on entrevoit jouer dans le cratĂšre, et qui semblent donner un clignement Ă  ces yeux d’un autre monde.

Adaptation Ă©galement Ă  l’alimentation particuliĂšre … La bouche, sur la face ventrale dĂ©colorĂ©e, n’est qu’une large fente. Quand le poisson nage sur le fond, elle frĂŽle le sable, y cueillant des petits crustacĂ©s, des vers arĂ©nicoles, des Ă©toiles de mer, et surtout des poissons plats de la famille des soles que font lever les ailes. Ainsi le rabot avale des copeaux ; ainsi la fermiĂšre Ă©crĂšme le lait. Chez certaines espĂšces, les dents peuvent ĂȘtre coupantes. On trouve, racontĂ©e un peu partout, et depuis un siĂšcle au moins, l’histoire de ce pĂȘcheur qui, voulant dĂ©barquer une grosse raie, la saisit par la bouche ; un mouvement convulsif de la bĂȘte agonisante coupa les deux premiĂšres phalanges de l’index. (Mais ne doit-on pas se mĂ©fier des anecdotes que chacun rĂ©pĂšte sans jamais remonter Ă  la source ?)

Adaptation encore Ă  la chasse particuliĂšre … Ses yeux Ă©tant dirigĂ©s vers le haut, la raie ne peut pas voir les proies sur qui elle s’abat, dans le sable. Mais elle supplĂ©e Ă  cette dĂ©ficience par la structure mĂȘme qui la lui vaut : l’Ă©talement de son corps en « disque Â» lui permet de se jeter sur le fond, comme un filet, exactement comme un Ă©pervier, sans peut-ĂȘtre savoir ce qu’elle emprisonne sous le couvercle de son corps. Aucun autre animal au monde ne chasse de la sorte : en s’abattant sur son gibier, en l’emprisonnant sous son corps. Sans donner trop de crĂ©ance aux histoires de plongeurs ocĂ©aniens Ă©crasĂ©s sous la masse de raies vastes comme une grande chambre, on peut imaginer, en la transposant ainsi Ă  l’Ă©chelle humaine, quelle formidable machine Ă  tuer reprĂ©sente une raie pour des proies Ă  sa taille.

Ainsi, parce qu’elle est plate, la raie ne vit comme aucune autre bĂȘte ; ou bien elle adapte comme elle peut sa vie; Ă  ses trĂšs singuliers organes. Que l’on choisisse une position philosophique ou l’autre, on doit s’Ă©tonner de la merveilleuse concordance des organes et de la vie.»

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°644 Octobre 1950 Page 601
  • Auteur : Pierre DE LATIL.
  • Titre : Un merveilleux exemple d’adaptation  – Les raies
  • Rubrique : La pĂȘche

En résumé

Que l’on considĂšre que les raies s’adaptent Ă  leur environnement ou que leur corps dĂ©termine leur mode de vie, une chose est sĂ»re : leur morphologie complexe tĂ©moigne d’une parfaite adĂ©quation entre forme et fonction. En 1950, dĂ©jĂ , leur Ă©tude passionnait les curieux et les pĂȘcheurs avertis.

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Notes :

🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sĂ©lectionnĂ© quelques images d’époque et photos personnelles qui Ă©voquent l’ambiance ou les techniques dĂ©crites.

⚠ Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourd’hui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.

Article publié initialement en 2012.

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