Aller au contenu
Accueil / La buvette / Faune & Flore aquatiques / Coquillages et crustacés marins … / Les fruits de mer – Les moules

Les fruits de mer – Les moules

C’est toujours avec plaisir que je découvre d’anciennes chroniques sur le thème de la pêche. Aujourd’hui, je vous propose un voyage en 1950 et la découverte de la pêche aux moules, une pratique déjà bien courante à cette époque.

1950 Consacrer une chronique à la vulgaire moule, sous le prétexte de pêche maritime, c’est enfoncer, me dira-t-on, une porte ouverte. Les moules, on en ramasse n’importe où, sur le bord de n’importe quelle grève : il suffit de se baisser !

L’imprudente consommation d’une moule perdue

D’accord, si l’amateur se contente de faire collection de coquilles de nacre vides ou si, celles-ci étant pleines — ou du moins habitées — il n’a d’autre dessein que de se mettre sous la dent une platée de « méchante pêquaille » : des moules de dernier ordre, à chair grise et maigre quand elles ne sont pas rabougries, de médiocre goût quand elles ne secrètent pas de dangereuses toxines.

Ces coquilles, flottantes, échouées à la lisière des hautes mers ou abandonnées dans quelque anse par le flux, laissez-les à leur misérable sort, qui est de pourrir au soleil ou de devenir la facile proie de quelque crabet, avide de la moindre ordure. Gardez-vous bien d’en encombrer votre panier, et gardez-vous-en vous-même, conseil d’ami, comme de la peste noire. Nombre d’empoisonnements attribués aux moules n’ont pas d’autre cause que l’imprudente consommation d’une moule « perdue ».

4 - Port-en-Bessin (Calvados) - Pêcheuses de moules revenant du Rocher
4 – Port-en-Bessin (Calvados) – Pêcheuses de moules revenant du Rocher

Une extrême rapidité de reproduction

La moule est sans contredit le mollusque le plus fréquemment rencontré sur nos côtes. Même la coque, ou hénon, doit lui céder le pas. Cela tient évidemment à son extrême rapidité de reproduction. Il n’est pas rare de tomber ainsi sur des moulières d’une très vaste étendue, non seulement en largeur, mais en hauteur : j’ai personnellement constaté jadis, sur certains plateaux marins, des couches de moules entassées sur une profondeur de près d’un demi-mètre. On peut du reste observer que les moulières du littoral français, terriblement « travaillées » durant toute l’occupation — et même bien après — par une population côtière réduite à la portion « incongrue », se sont reconstituées déjà ou achèvent de se reconstituer, à une vitesse quasi atomique.

16- BERCK-PLAGE.- Parc aux moules. -LL
16- BERCK-PLAGE.- Parc aux moules. -LL

Chacun connaît ce mollusque à coquille d’un noir brillant

Est-il nécessaire vraiment de vous présenter la moule, d’ailleurs fort répandue dans la plupart des mers du globe ? Chacun connaît ce mollusque à coquille d’un noir brillant, à reflets bleutés ou brunâtres, qui enferme une chair d’apparence gélatineuse, avant cuisson, entre deux valves identiques, triangulaires et plus ou moins fortement bombées. Les naturalistes prétendent qu’il en existe, de par le monde, une bonne centaine d’espèces.

Dans nos régions, toutes les moules se ressemblent étonnamment et ne varient guère que par leurs dimensions ou leur saveur. Leurs dimensions, parce que la moule du Boulonnais — sauf celle d’Équihen — ne dépasse guère 5 à 6 centimètres, alors que la moule normande atteint souvent 2 à 3 centimètres de plus et la moule bretonne parfois davantage. Je signale que les moules qu’on pêchait jadis sur les enrochements du canal de Caen à la mer, surnommées pour cette raison moules du Cordon, dépassaient ces mesures. Leur saveur offre de plus grandes variations encore. Certaines moules sont plutôt « farineuses » et de goût assez plat, d’autres d’une finesse exquise, les moules d’Isigny, de Lion ou de Villerville, par exemple.

BARFLEUR - Le port : le débarquement des moules. - Ed. Le Goubey
BARFLEUR – Le port : le débarquement des moules. – Ed. Le Goubey

Moules pêchées au râteau

Les professionnels de la moule « sauvage » — à l’exclusion de la moule qu’élèvent dans leurs bouchots les mytiliculteurs de l’Atlantique — ont la fâcheuse habitude de la pêcher au râteau, quand ce n’est pas à la fourche. Barques ancrées en morte-eau au-dessus des moulières, ils ratissent ainsi les moules immergées avec de très longs manches et de larges peignes pour en emplir leur rafiau à ras bords. Lorsque la marée le permet, ils n’hésitent même pas à s’aventurer en tombereau jusqu’à la meulière et chargent leur pêche à la fourche. Ces procédés ont l’avantage de la rapidité, certes, mais c’est le plus sûr moyen de détruire une meulière en quelques semaines, et les gardes côtiers ont bien raison de faire à ces ravageurs la chasse qu’ils méritent.

L’amateur se contentera, plus sagement, de remplir son panier, et de le faire dans le temps même où les « pros » sans vergogne entassent des montagnes de moules dans leur « quinze pieds » ou leur banneau. Le plaisir de la pêche aux moules, c’est justement de pérégriner sur les fonds rocheux qui conviennent, des fonds à algues vertes, de préférence, pour y cueillir, pièce à pièce et jamais plus, les plus beaux échantillons de l’espèce.

Carte-postale semi moderne (1970) - 56 - Mytiliculture - Pénestin - Culture de la moule sur bouchots à l'embouchure de la Vilaine à Pénestin
Carte-postale semi moderne (1970) – 56 – Mytiliculture – Pénestin – Culture de la moule sur bouchots à l’embouchure de la Vilaine à Pénestin

Les moules doivent prendre à chaque marée contact avec le soleil

La détermination des lieux de pêche n’est jamais fonction de la hauteur de la marée. Il existe d’excellentes moulières à une assez faible distance du rivage, alors que d’autres n’émergent qu’aux extrêmes marées de nouvelle lune : tout dépend du secteur considéré. Mais je crois que les meilleures moules sont celles qui découvrent chaque jour, comme je prétends que, pour être pleines et blanches — le fin du fin — les moules doivent pouvoir prendre à chaque marée contact avec l’air et surtout le soleil. C’est ce que certains ramasseurs expriment curieusement en affirmant que, pour être bien gouleyante, la moule a besoin de respir. Tout au long de ma carrière, (de pêcheur à pied), j’ai toujours observé que les moules les plus grasses et les plus blanches ne se péchaient le plus souvent qu’en deçà des limites de morte-eau (ce qui assure leur aération quotidienne) et durant les mois les plus chauds d’été : juin, juillet, août (donc pendant des périodes abondamment solarisées).

Je conseille à qui sait apprécier ce savoureux mollusque de s’inspirer attentivement de ces deux lois de lieu et de temps. Sauf sur certaines moulières qui font parfois exception à la règle, ainsi celle de Villerville — je n’ai jamais pu déterminer pourquoi, — les moules d’été sont aussi dodues et de chair succulente que les moules d’hiver demeurent grises, flasques et ratatinées, de médiocre goût aussi. Les estivants qui passent leurs vacances à la mer sont donc assurés de réaliser de fructueuses collectes, si leur secteur marin comporte des rochers emmoulés.

Mais, je le redis, ces moules seront d’autant plus exquises qu’on les aura cueillies sur des rochers riches de varech vert, de ce varech vert qui ressemble à de jeunes laitues chiffonnées. Sur un même point du littoral envisagé, on constatera en effet de considérables différences de saveur entre des moules ayant poussé à proximité ou sous des algues vertes et celles qui se seront développées an milieu des goémons ou des varechs noirs ou bruns.

Ne jamais ramasser une moule flottante, ou abandonnée sur les grèves.

Telles sont les principales clés du succès pour le pêcheur de moules. Quant à l’opération de pêche en soi, elle est d’une simplicité biblique, à condition de ne jamais ramasser une moule flottante, ou abandonnée sur les grèves, ou déjà détachée du rocher. Car la moule adhère toujours au caillou ou au roc grâce à un fin réseau de fils sombres, l’hyssus, qui se brise facilement à la traction, mais une traction nécessitant tout de même un effort assez sensible. Contrairement à ce qu’en pensent les profanes, la moule s’amarre toujours et se fixe à son lieu d’élection, ou de dérive, en grappes plus ou moins serrées.

Le véritable amateur choisira de préférence des moulières peu abondantes, parce que les moules y croissent souvent mieux que lorsqu’elles vivent entassées. Il prendra naturellement soin de sélectionner ses prises en ne « cueillant » que des moules de belles dimensions et à valves rebondies. Mais ces dernières ne sont pas fatalement les plus pleines, dans l’absolu, ni toujours les plus blanches. En deux heures de marée, et môme moins, il aura largement le temps d’approvisionner abondamment toute la tablée de famille, même si celle-ci peut prétendre, au Cognacq-Jay [1].

Fumet de moule

Et, à propos de cognac, si j’ose risquer ce fâcheux à peu près, je ne crois pas le moins du monde indispensable au consommateur que notre pêcheur ne manquera pas d’être, dans la demi-journée qui suivra, de faciliter la digestion de ses moules par l’absorption d’un « trou charentais » — quoi qu’en disent certains gastronomes. C’est une légende qui a la vie dure, mais ne semble reposer sur aucun fondement sérieux, que cette tradition de l’alcool antidote. Je n’ai personnellement jamais constaté aucun cas d’intoxication par les moules lorsque le pêcheur avait eu soin de sacrifier au triple rite de la moule arrachée à un banc de varech vert, découvert à chaque marée, et en plein été seulement.

Bien que mon dessein ne soit nullement ici de marcher sur les brisées de Curnonsky le gourmet, ou de l’érudit gastronome Édouard de Pomiane, je signale la particulière saveur des moules sautées à la marinière. Le jus de cette cuisson, connu des maîtres-queux sous le nom de fumet de moule, permet d’accommoder de nombreuses espèces de poissons et de conférer aux plus vulgaires d’entre eux un parfum étonnant.

Un conseil de modération avant d’en finir toutefois ! Sachant que, tous les jours que l’été fait, vous pourrez aller cueillir la moule aussi aisément que d’autres l’herbe à lapins, n’abusez pas de vos faciles victoires et n’ouvrez pas les yeux (ou le panier) plus grand que le ventre. Deux à trois douzaines de moules par personne constituent un très suffisant élément de marinière. Et, si prolifiques que puissent être les moules, laissez-en au voisin. La mer a beau être à tout le monde, mieux vaut n’en pas dilapider les trésors — ne serait-ce que pour aider à la multiplication de ces excellents mollusques.

Maurice-Ch. RENARD.
Le Chasseur Français N°639 Mai 1950 Page 281

Carte-postale - Les recettes du Nord "Moules Frites" - Ed. LE GOUBEY
Carte-postale – Les recettes du Nord Carte-postale – Les recettes du Nord « Moules Frites » – Ed. LE GOUBEY

Notes

[1] – L’auteur fait ici référence au prix Cognacq-Jay, créé en 1922, qui permettait de récompenser annuellement 300 familles nombreuses, ayant au moins cinq enfants.

Vous aimerez également

Cet article vous a plu ? N’hésitez pas à le partager pour informer vos proches.

Article publié initialement en 2003
Il constitue un outil de documentation pour la pêche de loisirs et n’engage pas la responsabilité du site.

Temps estimé de lecture : 10 minutes

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *