En avril 1952, dans les pages du Chasseur Français, le hotu faisait figure dâennemi public des riviĂšres. Ce cyprinidĂ©, dĂ©crit comme destructeur de frai et dâune piĂštre qualitĂ© culinaire, nâĂ©tait pas seulement boudĂ© â il Ă©tait combattu. Retour sur un article vintage qui en dit long sur la vision halieutique de lâĂ©poque.
đ° Un indĂ©sirable – Le hotu

« Si, Ă premiĂšre vue, le hotu paraĂźt ĂȘtre un assez beau poisson, lĂ se borne Ă peu prĂšs tout son mĂ©rite, ainsi que nous le verrons plus loin. C’est le Chondrostama nasus des naturalistes, pour nous, le « nase » qui, comme nos poissons blancs, appartient Ă la famille des « cyprinidĂ©s ». Corps allongĂ© couvert d’Ă©cailles brillantes, dos un peu arquĂ©, ventre aplati ; nageoires dorsale et anale brunĂątres, les autres roussĂątres ; ni aiguillons, ni barbillons. Mais ce qui le caractĂ©rise et le dĂ©pare, c’est son nez large, obtus, proĂ©minent, et sa bouche en forme de fer Ă cheval, placĂ©e complĂštement en dessous et encadrĂ©e de plaques cartilagineuses. Il a reçu toute une kyrielle de prĂ©noms bizarres : soiffe, Ăąme noire, gueule carrĂ©e, chiffe, prussien, siĂšge, Ă©crivain, mourine, etc. … Ă cela, malgrĂ© les confusions qui peuvent en rĂ©sulter, il n’y aurait pas grand mal, mais quand on l’a appelĂ© fera, lavaret, mulet, ombre-chevalier, la mĂ©prise devient fĂącheuse et l’erreur regrettable, car c’est confondre le plus mauvais poisson de nos riviĂšres avec les meilleurs.

Le vĂ©ritable nase â car il en existe plusieurs variĂ©tĂ©s â frĂ©quente surtout les cours d’eau importants. Il atteint la longueur de 0m,45 et pĂšse parfois 2 kilogrammes et mĂȘme un peu plus. Mais ces gros nases ne sont pas trĂšs communs et nos lignards doivent se contenter, le plus souvent, de poissons de 700 Ă 800 grammes. Pendant l’hiver, les hotus habitent les profondeurs, Ă l’aval des grands fleuves ; au printemps, ils remontent leur cours ainsi que celui de leurs affluents et cela en vue du frai, qui s’exĂ©cute sur des fonds propres, caillouteux ou graveleux, oĂč l’eau court assez vite et a peu de profondeur. Les Ćufs, petits et verdĂątres, moins nombreux que chez le gardon, mettent environ quinze jours Ă Ă©clore et les alevins grossissent assez vite. Dans certains de nos cours d’eau, les hotus remontent en troupes si Ă©paisses et si nombreuses que les fonds en sont comme tapissĂ©s ; ils se touchent tous, parfois sur des longueurs considĂ©rables, et tous autres poissons fuient devant eux. Leur nourriture habituelle consiste en petits animaux aquatiques. En Ă©tĂ©, par eaux basses et claires, il est frĂ©quent de les voir se retourner sur le flanc pour mieux saisir ces bestioles collĂ©es aux pierres et aussi « brouter » la mousse verdĂątre qui couvre certains fonds. Si cela suffisait Ă leur bonheur, il n’y aurait guĂšre lieu de s’en prĂ©occuper, mais ils sont tellement avides du frai des poissons qui pondent dans les graviers et sur les bords, qu’ils se rendent de ce chef fort nuisibles quand ils sont nombreux, ce qui est la rĂšgle gĂ©nĂ©rale. Aussi les fermiers des cantonnements de pĂȘche les ont-ils en horreur et, Ă plusieurs reprises, ont demandĂ© de pouvoir le pĂȘcher aux filets en tout temps et notamment en mai, pendant leur frai, Ă©poque oĂč ils sont faciles Ă prendre. De peur du braconnage, cette facultĂ© leur a Ă©tĂ© jusqu’ici refusĂ©e.
Le hotu est frĂ©quemment capturĂ© par nos pĂȘcheurs Ă la ligne et sa pĂȘche est assez facile. Pour bien rĂ©ussir, il est bon de choisir un fond de gros sable ou de gravier, en courant modĂ©rĂ©, profond de 1m,50 Ă 2 mĂštres. On amorcera un peu au large avec des boulettes de terre molle contenant du pain dĂ©trempĂ©, du blĂ© cuit, des asticots, des brisures de tourteaux et de petits vers. La canne, en roseau, longue de 5 Ă 6 mĂštres, sera lĂ©gĂšre, un peu moins flexible que pour pĂȘcher le gardon ; le moulinet est facultatif mais toujours Ă conseiller. Le corps de ligne, en soie fine, sera suivi d’un bas de ligne de 2m,50 en nylon 18 ou 20 centiĂšmes ; flotteur lĂ©ger, en porc-Ă©pic, et Ă©quilibrĂ© par un groupe de petits plombs n°7 Ă 0m,30 de l’hameçon. Ce dernier sera un n°12 pour le blĂ© cuit, n°14 pour l’asticot, la toute petite noquette ou la minuscule boulette de pain frais et le ver rouge. Il est bon que la coulĂ©e traverse l’espace amorcĂ© vers son milieu et que l’appĂąt traĂźne sur le fond comme pour le goujon. La touche est le plus souvent franche ; la plume s’enfonce sans avertissement prĂ©alable et part plus ou moins vite ; parfois elle s’arrĂȘte comme dans un accrochage. Il est bon de rĂ©pondre aux deux cas par un ferrage dĂ©cidĂ©, car les lĂšvres cartilagineuses du hotu sont assez dures Ă percer ; on ne devra pas, cependant, y mettre trop de raideur. Les gros hotus se dĂ©fendent assez bien. S’ils ne sautent pas hors de l’eau et ne se butent guĂšre au fond, ils tirent en bout avec vigueur, gĂ©nĂ©ralement vers l’aval, et le scion est mis Ă l’Ă©preuve, mais cette rĂ©sistance ne dure guĂšre ; le danger est au bord ; au moment oĂč l’Ă©puisette va entrer en jeu, il tourne sur lui-mĂȘme, se met le ventre en l’air et, pour peu que le fil se dĂ©tende, est prompt Ă vous tirer sa rĂ©vĂ©rence ; aussi ne doit-on pas s’amuser avec lui et l’empocher au plus tĂŽt.
Si le hotu est fort indĂ©sirable pour sa nuisance Ă l’Ă©gard du frai, il l’est aussi par son peu de valeur comestible. Sa chair est flasque, molle, farcie d’arĂȘtes et d’un goĂ»t dĂ©testable.
Pour le rendre « mangeable » (?), on doit le saigner par incision Ă la queue dĂšs sa capture, l’ouvrir, le vider et enlever avec soin la peau noire qui tapisse le pĂ©ritoine. MalgrĂ© toutes ces prĂ©cautions, on ne risque jamais de se rĂ©galer.
Pour rĂ©sumer, disons de ce poisson : pĂȘche monotone, peu sportive, peu captivante ; goĂ»t dĂ©sagrĂ©able et peu appĂ©tissant. Il serait donc Ă dĂ©laisser, n’Ă©tait l’impĂ©rieuse nĂ©cessitĂ© de le dĂ©truire. C’est ce que j’ai toujours fait quand je l’ai pu, soit aux filets, soit Ă la ligne, et mes prises ont Ă©tĂ© considĂ©rables ; je m’en flatte et ne m’en repens pas. Que nos confrĂšres en fassent autant et cet hĂŽte indĂ©sirable, qui nous est venu de l’Ă©tranger fort mal Ă propos, verra ses mĂ©faits diminuer de plus en plus dans l’avenir, au grand bĂ©nĂ©fice de nos riviĂšres dĂ©jĂ bien pauvres.»
Infos source
- Source : Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 214
- Auteur : PORTIER.
- Titre : Un indĂ©sirable – Le Hotu
- Rubrique : La PĂȘche
En résumé
Pour les pĂȘcheurs des annĂ©es 1950, le hotu nâĂ©tait pas un simple poisson blanc parmi tant dâautres. CâĂ©tait un intrus Ă Ă©liminer, comme en tĂ©moignent les rĂ©cits publiĂ©s par Le Chasseur Français. Si la perception moderne a Ă©voluĂ©, ce tĂ©moignage rappelle combien l’histoire de la pĂȘche est aussi celle de nos jugements.
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Notes :
đ Pour enrichir ce texte ancien, jâai sĂ©lectionnĂ© quelques images dâĂ©poque et photos personnelles qui Ă©voquent lâambiance ou les techniques dĂ©crites.
â ïž Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourdâhui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.
Article publié initialement en 2010.