đŸ”” PĂȘcher le mulet Ă  la fouĂ«ne et au rusquet (1952)

Le mulet, ce poisson souvent sous-estimĂ©, cache pourtant un riche patrimoine halieutique. À travers les rĂ©cits de Maurice-Ch. Renard, plongeons dans deux techniques de pĂȘche oubliĂ©es mais spectaculaires : la fouĂ«ne amarrĂ©e et le rusquet mĂ©diterranĂ©en.

📰 PĂȘche du mulet Ă  la fouĂ«ne et au rusquet

1952

«Plus connu en MĂ©diterranĂ©e sous le nom de muge ou mujon, le mulet frĂ©quente aussi, et en nombre, les cĂŽtes des mers Ă  marĂ©e. On l’y capture de diverses maniĂšres et surtout au filet palissade. Mais, fidĂšle Ă  ma doctrine qui rĂ©pudie rĂ©solument toute pĂȘche industrielle ou pratiquĂ©e au moyen d’un attirail onĂ©reux, je ne vous entretiendrai ici que de la fouĂ«ne amarrĂ©e, parce que c’est lĂ  un mode de capture spĂ©cifiquement sportif, et du rusquet, parce que ce procĂ©dĂ© est des plus pittoresques qui soient, tout en demeurant trĂšs efficace.

Il ne me siĂ©ra pas pourtant de vous rappeler d’abord que le mulet est un poisson marin, de forme allongĂ©e et de belles dimensions, caparaçonnĂ© de grandes Ă©cailles arrondies, de vous redire aussi qu’il aime les eaux saumĂątres — pour des raisons alimentaires — et n’hĂ©site jamais Ă  remonter l’estuaire des fleuves cĂŽtiers, sans y sĂ©journer cependant. Cette particularitĂ© vous enseignera tout de suite en quels lieux il conviendra de le piĂ©ger, sur la plupart des cĂŽtes de l’Atlantique et de la Manche. Le mulet est du reste un poisson de qualitĂ©, bien qu’en prĂ©tendent certains censeurs sĂ©vĂšres (et injustes) pour qui cette proie ne prĂ©sente d’intĂ©rĂȘt qu’en raison de ses Ɠufs, dont on confectionne un ersatz de caviar appelĂ© boutargue. Et, comme le mulet vit et se dĂ©place en bancs souvent fort denses, on voudra bien courir avec moi le risque d’en attraper quelques unitĂ©s.

Qu’on la dĂ©signe du nom de fouĂ«ne ou fouine, selon les rĂ©gions considĂ©rĂ©es, le harpon qui nous servira Ă  « piquer Â» du mulet sera constituĂ© par un fer Ă  deux dents, Ă  pointes assez rapprochĂ©es, ou, si l’on peut s’en procurer, un dard Ă  une seule pointe, mais au bec amĂ©nagĂ© en crochet, naturellement : il ne servirait Ă  rien de harponner un poisson s’il devait pouvoir se dĂ©ferrer d’une simple glissade.

À une ou deux dents, cette fouĂ«ne s’emmanche sur un bĂąton de quelque cinquante centimĂštres, lui-mĂȘme reliĂ© Ă  son extrĂ©mitĂ© Ă  un filin de 2 Ă  3 mĂštres de long dont on tiendra solidement en main l’autre bout. La pĂȘche du mulet se pratique alors au jet, dĂšs l’ouverture des sas faisant communiquer avec la mer certains canaux ou riviĂšres du littoral.

Nul n’ignore qu’Ă  l’heure de la pleine mer les portes des Ă©cluses qui ferment au reflux ces canaux, pour en maintenir le niveau Ă  une hauteur constante, s’ouvrent pour livrer passage Ă  des navires ou simplement pour rĂ©gulariser l’Ă©tiage des eaux du canal. Or les bancs de mulets qui se sont laissĂ© enfermer Ă  la pleine mer prĂ©cĂ©dente ne manquent jamais d’attendre impatiemment l’ouverture du sas pour rejoindre en hĂąte leur habitat naturel, l’eau salĂ©e. Le principe de la pĂȘche Ă  la fouĂ«ne amarrĂ©e repose entiĂšrement sur ce besoin du mulet.

Les pĂȘcheurs, qui ne sont en somme que des chasseurs Ă  l’arc, en quelque sorte, se livrent Ă  leur sport favori pendant les dix Ă  quinze minutes qui suivent l’ouverture des portes et le dĂ©versement des eaux de saumure dans les eaux salĂ©es. Ils se postent en aval du sas, en quelque point favorable, en bordure de quai bien souvent, pour surveiller attentivement le passage des mulets au travers des eaux dĂ©livrĂ©es et les harponner au vol, d’une dĂ©tente brusque, dans l’Ă©clair mĂȘme de leur apparition. Il tombe sous le sens qu’un tel procĂ©dĂ© exige une grande sĂ»retĂ© dans le coup d’Ɠil et des rĂ©flexes foudroyants. Le chasseur doit alors joindre Ă  la rapiditĂ© du regard la plus parfaite prĂ©cision du geste, qui fait penser Ă  celui du lanceur de javelot. Mais les organisateurs des Jeux olympiques n’ont encore jamais songĂ© Ă  faire figurer dans leurs programmes une compĂ©tition de fouĂ«ne amarrĂ©e — pour la probable raison que les stades sont totalement dĂ©pourvus d’Ă©cluses. Cette carence reste d’autant plus regrettable, Ă  mes yeux, que la pĂȘche Ă  la fouĂ«ne amarrĂ©e est l’un des sports les plus complets que je sache : il requiert d’ailleurs un long entraĂźnement, on s’en doute.

Une foĂ«ne Ă  deux dents pour la pĂȘche Ă  pied. - patrimoine.region-bretagne.fr
Une foĂ«ne Ă  deux dents pour la pĂȘche Ă  pied. – patrimoine.region-bretagne.fr

L’autre procĂ©dĂ© de pĂȘche au mulet, au moyen du rusquet, est Ă©videmment bien moins sportif. Peut-ĂȘtre est-il plus sĂ»r, en tout cas bien davantage Ă  la portĂ©e des amateurs et mĂȘme des dĂ©butants. Il s’avĂšre en tout cas fort amusant et, parce qu’il n’exige Ă  peu prĂšs nul effort, si ce n’est d’attention, est-il assez volontiers pratiquĂ© sur les cĂŽtes du Sud-Est — oĂč l’on demeure plutĂŽt Ă©conome d’Ă©preuves physiques exagĂ©rĂ©es en raison de la chaleur mĂ©diterranĂ©enne …

L’appareillage, des plus simples, peut ĂȘtre construit par n’importe quel amateur, aux moindres frais. Il vaut pour n’importe quelle rĂ©gion cĂŽtiĂšre, mais, rendons Ă  CĂ©sar ce qui appartient Ă  Marius, il est d’origine et d’essence mĂ©ridionale, sinon phocĂ©enne.

Cet appareil, le rusquet, est avant tout un instrument de liĂšge, donc un flotteur. Il tire vraisemblablement son nom de la « rusque Â», l’une des appellations du chĂȘne-liĂšge dans le Midi de la France. Il affecte la forme d’une minuscule cloche Ă  fromage. On le taillera sans grande difficultĂ© dans n’importe quel bloc de liĂšge, on pourra Ă  la rigueur le fabriquer au moyen de bouchons solidement assemblĂ©s et patiemment polis. Mais il importera toujours de couronner le dĂŽme de cette clochette d’un cabillot ou d’une cheville de bois assujettie en son sommet — on saura plus loin pourquoi.

Le diamĂštre de notre rusquet s’inscrira entre 8 et 12 centimĂštres, pour une hauteur de 6 Ă  8. On n’omettra point, en taillant ce petit appareil, de creuser Ă  2 centimĂštres de sa base mĂȘme une petite gorge circulaire dans le creux de laquelle on assujettira une forte ficelle destinĂ©e Ă  recevoir quatre crins d’inĂ©gale longueur et diamĂ©tralement opposĂ©s, un Ă  chaque point cardinal, si l’on peut dire. La longueur de ces crins variera de 12 Ă  20 centimĂštres, et on prendra soin qu’aucune de ces lignes Ă  pĂȘcher, car ce sont des lignes futures, ne prĂ©sente une longueur Ă©gale Ă  celle de sa voisine. Chaque crin sera enfin armĂ© d’un hameçon Ă  Ɠillet, des numĂ©ros 3 ou 4 de prĂ©fĂ©rence, un hameçon qui ne sera jamais bouettĂ©, je le prĂ©cise bien (c’est l’une des particularitĂ©s de ce mode de pĂȘche).

L’ensemble du rusquet ainsi gréé, et l’on conçoit que ce travail n’exigera pas un temps bien considĂ©rable, on en revĂȘtira le dĂŽme d’une couche de cĂ©ruse ou de peinture blanche, de maniĂšre Ă  rendre l’appareil nettement visible lorsqu’on commencera l’opĂ©ration de pĂȘche proprement dite. Avec une provision d’une demi-douzaine de rusquets, ce qui reprĂ©sente dans la pire hypothĂšse (celle de la maladresse manuelle) deux journĂ©es de travail, l’amateur de mulets sera suffisamment armĂ© pour prĂ©tendre Ă  d’honorables captures.

La pĂȘche s’effectue alors dans les conditions que voici.

AprĂšs avoir dĂ©terminĂ© Ă  mer basse les points du littoral oĂč les bancs de mulets ont coutume de monter avec le flux, par exemple ceux oĂč les professionnels dĂ©posent leurs palissades Ă  flotteurs, au besoin aprĂšs s’ĂȘtre renseignĂ© auprĂšs des « muletiers Â» (en ayant l’air de ne pas avoir l’air, mine de rien !), l’amateur embarquera ses six rusquets avec lui, dans quelque plate, et gagnera Ă  force d’avirons, deux heures avant l’Ă©tale, les lieux prĂ©alablement repĂ©rĂ©s. Je signale par parenthĂšse que les mulets reviennent fidĂšlement aux mĂȘmes endroits, jours aprĂšs jour, pour des motifs de ravitaillement personnel le plus souvent.

C’est prĂ©cisĂ©ment par la gourmandise que le rusquet causera leur perte. Le pĂȘcheur arrimera en effet, Ă  la base mĂȘme et Ă  l’Ă©picentre de chacun de ses rusquets, un simple croĂ»ton de pain, dont la mie sera disposĂ©e d l’extĂ©rieur. Bien entendu, il aura intĂ©rĂȘt Ă  maintenir le croĂ»ton en position par un croisillon de ficelles fines venant s’amarrer sur le cabillot supĂ©rieur : c’est parfois de la soliditĂ© de cet arrimage que dĂ©pend le succĂšs de la pĂȘche.

Le montage Rusquet
Le montage Rusquet

Chacun des rusquets sera alors mis Ă  l’eau Ă  quelques mĂštres d’intervalle et, dĂšs ce moment, ne cessera de faire l’objet d’une surveillance vigilante. Lorsqu’on pĂ©chera Ă  proximitĂ© d’un courant, ce qui n’est d’ailleurs pas recommandĂ©, il sera utile d’Ă©viter toute dĂ©rive soit en ramenant toutes les cinq minutes les rusquets Ă  leur point de dĂ©part (que l’on peut signaler par une bouĂ©e ancrĂ©e au fond), soit en mouillant directement les rusquets, encore que ce systĂšme, qui nĂ©cessite un fil d’amarrage, risque d’effaroucher le poisson.

DĂšs qu’un mulet dĂ©couvre le croĂ»ton, et c’est souvent vite fait, il se prĂ©cipite pour le becqueter, si l’on peut dire, et en Ă©miette des parcelles — dont la chute provoque la ruĂ©e immĂ©diate des congĂ©nĂšres en quĂȘte de pĂąture. Les Ă©bats des poissons ainsi appĂątĂ©s s’accompagnent alors de vigoureux redressements, Ă  coups de nageoires dorsales, et il est constant qu’au cours de ces acrobaties les mulets s’enferrent Ă  qui mieux mieux sur les hameçons nus qui pendent aux quatre coins du rusquet, des hameçons qui n’ont d’autre mission que de harponner au passage, avec une automaticitĂ© Ă©tonnante, les mulets trop empressĂ©s.

AussitĂŽt qu’un mulet se trouve ainsi pris, le rusquet plonge Ă  sa suite, pour ne pas tarder Ă  remonter en raison de sa puissance ascensionnelle, entraĂźnant alors le mulet captif. Il ne reste au muletier qu’Ă  s’approcher rapidement Ă  coups de rames, Ă  sortir de l’eau le rusquet, Ă  en dĂ©crocher sa proie, immĂ©diatement mise en lieu sĂ»r, puis Ă  continuer Ă  surveiller soigneusement les soubresauts des autres rusquets. Un rusquet qui plonge, c’est presque Ă  tout coup un mulet de pris, Ă  condition de faire vite et de dĂ©ferrer prudemment.

Pour les raisons indiquĂ©es ci-dessus, ce curieux procĂ©dĂ© de pĂȘche au rusquet se pratique de prĂ©fĂ©rence en eau calme. Il est particuliĂšrement fructueux dans l’heure qui prĂ©cĂšde l’Ă©tale et souvent bien au delĂ . C’est un original procĂ©dĂ© de pĂȘche en chaĂźne qu’on utilisera toujours avec bonheur par temps d’orage ou dans les pĂ©riodes caniculaires, les mulets remontant alors plus volontiers Ă  la surface. Un muletier attentif et rapide peut ainsi capturer parfois jusqu’Ă  trente kilos de mulets en une marĂ©e, ce qui n’a rien de dĂ©plaisant.»

Le rusclet. - www.calanquedemorgiou.fr
Le rusclet. – www.calanquedemorgiou.fr

Infos source

  • Source : Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 216
  • Auteur : Maurice-Ch. RENARD.
  • Titre : PĂȘches cĂŽtiĂšres – Le mulet
  • Rubrique : La pĂȘche

En résumé

Ces mĂ©thodes montrent l’ingĂ©niositĂ© des anciennes techniques de pĂȘche cĂŽtiĂšre. Cet article vous a plu ? N’hĂ©sitez pas Ă  le partager pour informer vos proches.

Autres ressources :

Notes :

🔎 Pour enrichir ce texte ancien, j’ai sĂ©lectionnĂ© quelques images d’époque et photos personnelles qui Ă©voquent l’ambiance ou les techniques dĂ©crites.

⚠ Note : certaines techniques dĂ©crites ici peuvent ĂȘtre aujourd’hui interdites ou rĂ©glementĂ©es. VĂ©rifiez toujours les lois en vigueur avant de pratiquer.

Article publié initialement en 2013.

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